Rien que le silence recueilli de la prière…
Jean-François MILLET : « L’Angélus »
« Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour. » (Psaume 66)
Je vous invite à revoir cette œuvre parmi les plus connues de Millet intitulée « L’Angélus ». Ce tableau nous semble aujourd’hui extrêmement conventionnel, voire démodé, et pourtant il fit scandale à l’époque dans les milieux bourgeois parisiens ! Pourquoi ? Parce que la seconde moitié du 19ème siècle connut l’essor de l’industrialisation qui était alors à la pointe du progrès, et les Parisiens branchés considéraient avec mépris la condition paysanne, son dur labeur, son inculture et sa piété – ces gens de la campagne n’étaient à leurs yeux pas dignes d’être représentés en peinture ! Et pourtant, en une vingtaine d’années, passant de collectionneur en collectionneur, ce tableau finit par être reconnu comme un chef d’œuvre, représentant non pas une petite anecdote de la vie quotidienne, mais une scène à portée universelle. A la fin des années 1880, l’Angélus était même devenu le tableau le plus cher du monde.
Qu’y voit-on ? Au premier plan, un homme et une femme viennent d’interrompre le travail de la terre pour la prière. Ils ont les pieds dans la glaise mais le haut de leur corps se découpe sur un beau ciel de crépuscule. Ils se recueillent. Il est six heures du soir, l’heure de la prière de l’angélus. Les personnages sont à contre-jour, et dans la pénombre, on ne distingue que leur silhouette. Aucun élément ne vient distraire notre attention, rien que le silence recueilli de la prière…Un temps d’arrêt comme un sabbat, un temps à part pour Dieu – un temps où l’être est libéré de tout ce qui le conditionne : son époque, son éducation, son appartenance sociale…
Le champ s’étend à perte de vue. L’homme et la femme semblent grands par rapport au clocher de l’église à l’horizon. On a l’impression d’être devant une œuvre monumentale, alors qu’en réalité il s’agit d’un tout petit tableau ! Cette illusion d’optique a un sens : elle nous dit qu’à travers la prière qui nous relie à lui, Dieu nous donne de la grandeur contre tout ce qui nous rabaisse, et de la dignité à tous ceux qui remettent humblement leur vie entre ses mains.
Eva Clapiès