Vincent VAN GOGH : « Nature morte avec la bible » (1885)
Les relations de Vincent avec son père s’étaient envenimées : le père de Van Gogh, un pasteur très conservateur, considérait d’un mauvais œil le mode de vie de son fils : il ne voyait par exemple dans la littérature française dont son fils raffolait, qu’une incitation à la débauche. Quand son père mourut en 1885, Vincent refusa sa part d’héritage. Ce tableau a été réalisé quelques mois après. La bible, de couleur terne, n’est plus éclairée par la bougie, dont la flamme est éteinte ; devant elle se trouve un petit livre d’une couleur jaune nettement plus lumineuse, un roman de Zola intitulé « la joie de vivre », tout usé à force d’avoir été lu.
Pourquoi ce roman à côté de la bible ? A cette étape de la vie du jeune peintre, ces deux livres peuvent être vus à la fois comme des symboles de la rupture et de la réconciliation avec son père.
D’abord la rupture : ce tableau serait le témoignage critique d’un fils révolté contre son père et contre les conceptions religieuses sclérosées que ce dernier incarnait, une spiritualité réduite à un discours dogmatique et à une morale rigide. C’est le sens des bougies éteintes à côté de la bible.
Ensuite la réconciliation: ce tableau serait ce qu’on appelle une vanité, c’est à dire un constat d’humilité devant ce qui passe et ce qui est éternel. Vanité est de se disputer sur des questions théologiques. Car l’essentiel est ailleurs. La vie les dépasse, Dieu les dépasse.
Mais il y a une autre réconciliation qui est suggérée ici: pour le jeune peintre, la Bible est aussi un chemin vers la joie de vivre. Le Dieu de Jésus-Christ ne se plaît pas à nous voir souffrants ! La Bible et le roman de Zola parlent au fond du même thème, celui de la confiance indéfectible en la vie et de la victoire sur toute forme de découragement, même dans des conditions difficiles.
Cette méditation permit à l’artiste de se libérer de l’ambiance familiale étouffante, pétrie de préjugés et d’une religiosité malsaine. Une première période de sa vie était achevée. Il allait enfin pouvoir enfin passer à la couleur !
Eva Clapiès