Se libérer de ce qui nous hypnotise…
Paul SIGNAC: “Portrait de Félix Fénéon” (1890)
Paul Signac (1863-1935) est un peintre français qui a contribué à développer le style pointilliste en collaboration avec Georges Seurat. Ils ont découvert qu’en juxtaposant scientifiquement de minuscules points de couleurs sur la toile, c’est l’œil du spectateur qui, par un effet d’optique, en faisait naturellement la synthèse. Ils accordaient donc beaucoup d’importance à la couleur « qui détient un don magique car elle a tous les pouvoirs sur la sensibilité ». Le peintre se présente ainsi comme un véritable illusionniste, ce que montre ce tableau au premier degré.
Il faut dire qu’à la fin du 19ème siècle, il fallait oser ! Mais Signac était un anticonformiste en art comme en politique. Il était président de la Société des Artistes Indépendants et en tant que tel il a encouragé des jeunes talents dont les œuvres étaient très controversées, comme les Fauves et les Cubistes. Il fut aussi le premier à avoir acheté une toile de Matisse. Sur le plan politique, il a sympathisé avec le mouvement anarchiste, tout comme son ami le critique d’art Félix Fénéon, auquel ce tableau est dédié.
Cette peinture n’évoque donc pas seulement une nouvelle technique picturale. Elle parle aussi de l’amitié qui unissait les deux hommes. Et de ce point de vue alors, ce n’est plus le feu d’artifice des couleurs qui importe, avec son pouvoir hypnotique, mais la petite fleur blanche que le magicien tient délicatement entre ses doigts : là est l’essentiel, là est ce qu’il faut
protéger ! Il s’agit d’un cyclamen blanc dont la symbolique correspond à un attachement fort et
sincère. Blanc, incolore, donc échappant au mirage bariolé des illusions qui l’encerclent, c’est la
fleur pure et fragile de l’amitié.
Alors ce tableau nous invite peut-être à nous recentrer sur l’essentiel. Cette spirale tapageuse et tyrannique n’est-elle pas à l’image de notre société, prête à nous dévorer mentalement par sa surabondance de sollicitations et de distractions ? Sauf si nous faisons l’effort de nous orienter vers l’essentiel, en gardant notre conscience en éveil. Sauf si nous nous rendons compte de tout ce qui pollue notre esprit pour nous en libérer. Nous sommes invités à regarder ce tableau comme un appel à désencombrer notre intériorité… Car c’est dans le silence conquis sur notre vacarme mental, sur le flux incessant de nos pensées automatiques et de nos ruminations, que la Parole de Vie, qui est comme une brise légère, pourra se faire entendre.
Eva Clapiès