Pour que l’envie de vivre ne s’éteigne pas avec la perte d’autonomie, le divertissement reste essentiel. Contenter tout le monde en tenant compte des individualités, telle est la mission de l’animateur. Reportage à l’Ehpad Siloë d’Ostwald.
« BRAVVVOOOOO !!! »À chaque fois que la guitare de Malik Lahsem, alias JoMikMak s’arrête, Marie-Louise applaudit à tout rompre et s’époumone, sous les regards médusés de ses congénères. Elle a bien raison de se lâcher, répond Malik, qui n’a pas vu son public depuis longtemps. Le musicien reprend les rencontres après de longs mois d’absence, il chante à travers son masque. Une quinzaine de pensionnaires sur les 70 que compte l’établissement sont descendus sans se presser, accrochés au coude de Renaud Carrouché, animateur.
Installés dans le jardin entre les pieds de tomates cerises et les fraisiers, ils savent quoi demander. L’une voudrait Les roses blanches, l’autre préfère la folk et voudrait entendre Bob Dylan. On demande s’ils sont plutôt Beatles ou Stones. « Bof, aucun des deux » rétorque Gilbert, aux lunettes carrées pourtant très rock.
« J’aime bien leur donner le rôle du sachant »
L’Ehpad Siloë du groupe des Diaconesses accueille un public diminué physiquement ou psychiquement, parfois les deux. « Pour certains, descendre avec les autres c’est déjà une victoire. On ne les force pas à venir, c’est eux qui doivent en avoir envie » assure Renaud Carrouché. C’est là tout le défi du métier d’animateur : découvrir les envies des pensionnaires. Quand il demande aux nouveaux arrivants ce qu’ils aiment manger ou faire, les non-réponses ou les « je sais pas» sont fréquents.
Il faut alors multiplier les expériences pour que les personnalités s’affirment, et leur donner l’occasion de se mettre en valeur. « J’essaie de les mettre dans la peau du sachant. » Eux savent tout du jardinage, Renaud Carrouché fait celui qui n’a jamais tenu une binette et se laisse guider. Quant à JoMikMak, il lui a fallu ouvrir son répertoire aux chansons alsaciennes. « Il a fait de gros progrès en prononciation ! » note Marie-Rose, alors que le musicien entonne D’r Hans im Schnokeloch.
Pendant le confinement : moins de BFM, plus d’ARTE
Évidemment, la grille d’activités a été perturbée par le confinement. Les cinq Ehpad des Diaconesses ont été épargnés par la première vague. Seuls six cas ont été recensés dans un établissement, aucun mortel. Pour autant, le directeur du Pôle Senior des Diaconesses Stéphane Buzon et la responsable de l’établissement Claudia Magron ont pris la douloureuse décision de restreindre les visites, avant même le début du confinement. « La plupart n’ont pas vraiment réalisé la situation dehors. Seuls quelques-uns étaient en mesure de comprendre. Le plus dur, c’était pour les familles. »
L’outil numérique s’est révélé à double tranchant. Précieux pour organiser des appels en visio avec les proches, et même un concert à distance de JoMikMak, mais parfois détestable, tant le décalage entre la situation maîtrisée de l’Ehpad et le discours apocalyptique distillé par voie de presse était criant. Renaud Carrouché a dû improviser un peu d’éducation aux médias : « Pour certains, on a essayé d’éviter BFM dans la chambre, on leur mettait ARTE. La programmation ciné leur a bien plus. »
Paradoxalement, quelques-uns ont bien vécu ce confinement. « Certains ont apprécié d’être moins sollicités. Leur état s’est même amélioré. » Pour Renaud Carrouché, ces deux mois au ralenti ont aussi été l’opportunité de passer plus de temps avec chacun d’entre eux. Un luxe trop rare en temps normal.
Pierre Pauma