Pendant la crise, les aumôniers des Ehpad ne pouvaient plus rencontrer les résidents, ni célébrer des cultes avec eux. Comment ont-ils géré cette situation ? Quelles questions se posent-ils aujourd’hui sur leur pratique ?
« La première qui m’a appelée, c’est Yvette. Elle venait d’apprendre la mort de son frère et désespérait de ne pas pouvoir aller à ses obsèques », raconte Dolorès Capon qui se présente comme aumônier auprès des personnes du grand âge. Au moment du confinement, elle a pensé que la seule solution pour rester en lien avec les résidents, était de collaborer avec le personnel des Ehpad à Strasbourg où elle fait ses visites. Elle a ainsi pu garder des contacts par téléphone et y consacrait plusieurs heures par jour : « J’ai beaucoup entendu pleurer au bout du fil. Des appels ont cessé aussi parce qu’il n’y avait plus personne à appeler. Quelques fois, les propos devenaient incohérents. »
Pour Anita Agbenokoudji, aumônier dans le piémont des Vosges, les visites reprennent doucement. Les premières personnes qu’elle a revues lui ont confié qu’elles n’appréciaient pas cette atteinte à leur liberté : « elles me disent qu’elles ont eu beaucoup de patience, mais que ça suffisait, qu’elles préféraient mourir que d’être enfermées ainsi. »
Georges Merkling, du côté de Wissembourg et sa région, parle de la solitude des résidents et de cette femme qui pensait que son fils était mort parce qu’il ne venait plus chaque jour.
Natasha de Félice, aumônier en Alsace Bossue et en Moselle, a remarqué une sorte d’hébétude chez certains résidents avec comme conséquence un retour au patois « valeur sûre et terre ferme dans un monde en déliquescence ».
Marie-Louise Rempp, aumônier dans le consistoire de Hatten, a observé une dégradation motrice chez certains : pas de kinésithérapeute, pas de promenade, alitement prolongé. Un résident lui a confié : « Maintenant, je vois à la télévision des gens les uns à côté des autres sans masque, sans faire attention, cela va nous mener à quoi ? Nous voulons aussi sortir. Ils ne savent pas ce que c’est. Qu’ils pensent aussi à nous ! »
Une raison d’être
Stéphane Pompermeier, aumônier dans le consistoire de Metz, rapporte que « suivant les directions d’établissements et la compréhension qu’ils ont de l’aumônier et la place qu’ils lui donnent, les liens ont été très différents : soit bons soit pratiquement inexistants. » Les aumôniers interrogés souhaiteraient ne plus être mis de côté. Tous insistent : un aumônier ne célèbre pas seulement des cultes, il est aussi à l’écoute des résidents, de leurs familles, et des personnels. Surtout, la crise sanitaire a révélé de manière crue, l’impérieuse nécessité du contact humain, de la présence physique par des visites et des cultes. Ce que souligne Philippe Eber, aumônier dans un Ehpad à Strasbourg, « comment être présent auprès des personnes sans être là physiquement, surtout lorsque les personnes n’ont plus toute leurs facultés, que Facebook ou une vidéo ne leur parlent pas ? » Stéphane Pompermeier rappelle qu’« entendre la Parole qui est extérieure et si proche à la fois, cela fait du bien. Oser la prière, la parole biblique, c’est aussi cela ma mission ».
Les fins de vie et les décès dans les Ehpad ont été vécus de manière terrible. Dolorès Capon se souvient : « Imaginez l'époux à qui l'on a interdit d'accompagner la dépouille de son épouse au cimetière après 60 ans de vie commune ! Imaginez un couple qui vit à quelques chambres de distance et que l'on empêche de se voir et l'un des deux se laisse mourir ! Non, on ne peut pas imaginer que dans notre société, à notre époque, on ne trouve pas de solutions plus humaines. C'est dans ce cadre que les aumôniers interviennent aujourd'hui et tentent de faire preuve de la plus grande compassion possible. Les soignants, le personnel des Ehpad et tous ceux confrontés à cette situation dramatique, savent combien il est difficile de partager ce vécu avec les autres. S'ils ne trouvaient pas l'accompagnement auprès des pasteurs et aumôniers, quelle serait la raison d'être de nos ministères ? »
Gwenaelle Brixius