« Le Rwanda est, au moins officiellement, un fantastique laboratoire du pardon », observe le docteur Laura Braun. « Dans les cœurs des proches des victimes du génocide, c’est sûrement plus complexe. » En cent jours, entre avril et juillet 1994, le génocide rwandais a entraîné la mort, dans une violence sans précédent, de près d’un habitant du pays sur six. Ceux qui avaient les moyens ont fui le pays vers la Belgique et la France, jusqu’au Canada. Les autres ont dû réapprendre à vivre. Comment juger les coupables ? Il y avait, certes, un tribunal international censé poursuivre les commanditaires. Trois génocidaires présumés viennent récemment d’être arrêtés en Belgique. Mais restaient plusieurs centaines de milliers de prisonniers sur place. Pendant dix ans, jusqu’en 2012, des cours traditionnelles, les Gacaca, présidés par des personnalités élues dans chaque village, ont jugé les auteurs des crimes. La dynamique du pardon a été imposée.
« Les victimes offraient leur pardon et les criminels le recevaient. Cela amorçait le témoignage du génocidaire, pour servir de base à la réconciliation », explique Laura Braun, en notant que « le pardon est resté symbolique parce qu’il n’y a pas eu de réparation ». Les réparations financières n’ont pas fonctionné, les coupables étant souvent insolvables ou trop pauvres. Cependant des dépouilles de personnes massacrées ont pu être retrouvées... « Les Rwandais disent que le génocide est devenu un événement éternel », indique la médecin. Le mémorial de Kigali, avec des squelettes non identifiés, est centré sur le travail de la mémoire, à l’instar de ce qui se fait pour la Shoah. « Leur résilience force l’admiration », ajoute-t-elle. À l’hôpital de Kigali, il n’est plus question du génocide. Sauf « parfois au détour d’une conversation plus intime, quand un soignant lâche encore : ma famille a été tuée... »
Yolande Baldeweck