Quand le pardon paraît impossible

Ancien directeur de l’Action chrétienne en Orient, le pasteur Thomas Wild se souvient d’une conférence de l’Église chrétienne en Orient où un participant turc a fait un pas vers les Arméniens.

Les événements au Haut-Karabagh montrent que la haine entre les Turcs et les Arméniens n’est toujours pas apaisée. Le génocide de 1915 fait partie de l’identité arménienne – les livres, articles, publications sur Internet le mentionnent sans cesse. Chaque 24 avril, le début du génocide est commémoré, des commémorations souvent troublées par des groupes turcs. Mais les gouvernements turcs successifs refusent de reconnaître le génocide, ce qui bloque tout. Peut-on pardonner lorsque la faute n’est pas reconnue ? Le crime de 1915 a été largement couvert par la presse lors de son centenaire, en 2015. Aussi par l’Église évangélique arménienne de France, qui avait organisé en mai 2015 un colloque à Issy-les- Moulineaux, où j’étais invité en tant que directeur de l’Action chrétienne en Orient. En ouverture, un théologien, Jacques Buchhold, a tenté de répondre à la question de juger s’il est possible de pardonner lorsque l’offenseur ne demande pas pardon. Et il a répondu par la négative ! Le coupable, en refusant de reconnaître sa faute, se charge d’un fardeau encore plus grand... Des historiens ont souligné le contexte de l’époque et l’inertie internationale après la Première Guerre mondiale. Un juriste a expliqué que le terme de génocide n’a été forgé qu’après la Shoah, en 1948, et que certains en tirent argument pour dire que celui de 1915 n’en était pas un, même s’il comprenait tous les composants définissant un génocide sur le plan juridique. On a entendu le témoignage de Rakel Dink, veuve du journaliste Hrant Dink, assassiné devant le siège de son hebdomadaire Agos, en janvier 2007, à Istanbul par un nationaliste arménien. Hrant Dink était une des rares voix à demander aussi aux Arméniens de se reconstruire sur autre chose que la demande de reconnaissance du génocide. Il me reste un souvenir fort de ce colloque : lors d’une table ronde, un participant turc s'est levé, et, face à Rakel Dink et aux nombreux participants au colloque, tout en soulignant qu’il ne pouvait parler au nom de toute la Turquie, s'est mis à genoux et, en tant que turc, a demandé pardon aux Arméniens pour l’horreur subie...

Thomas Wild