De la terre aux couleurs, à pleines mains ou du bout d’un pinceau, la créativité se nourrit de souffles et d’élans. Elle nous mène au-delà de nous vers des destinations que bien souvent nous n’imaginions pas. Pour celui qui crée comme pour celui qui contemple, l’art dépasse l’esthétique. Pour tous, il est essence.
Peut-on dire qu’il y a un lien entre l’inspiration artistique qui pousse un artiste à créer une œuvre, et l’action de l’Esprit Saint, qui incite le chrétien à agir, à parler, à témoigner ? A priori, aucun, car ces deux phénomènes ne sont pas de même nature, n’ont pas les mêmes origines ni les mêmes finalités, et n’agissent pas dans les mêmes milieux. Le premier (l’inspiration artistique) est personnel, intime, lié au milieu des arts, et relève du mystère de la création artistique. Le second provient de l’action libre et gratuite de Dieu, se reçoit dans l’Église et est lié à la confession de Jésus comme Seigneur et Sauveur.
Pourtant, on notera facilement des analogies entre création artistique et manifestation de l’Esprit : elles échappent à l’agir et à la pensée humaine ; elles arrivent de manière imprévue, inattendue ; elles s’adressent à des personnes, au plus intime d’elles-mêmes ; elles créent du neuf, des réalités nouvelles, surprenantes. Pensons, par exemple, à la glossolalie, le parler en langues que les artistes du spectacle connaissent et revendiquent, tout comme certains chrétiens.
Peut-on dire d’un artiste qu’il a été inspiré par l’Esprit Saint ? Là, il faut être prudent, car cela supposerait qu’il faille être chrétien et confesser le nom de Jésus pour être un artiste spirituellement inspiré, position évidemment insoutenable. Toutefois, ce qui est troublant, c’est que nombreux sont les artistes – y compris parmi les non croyants – qui parlent de l’inspiration artistique comme d’une force qui est entrée en eux, et qui les pousse à créer au-delà de ce qu’ils pensaient pouvoir faire. L’un des plus célèbres d’entre eux, Wassily Kandinsky, l’un des pères de l’abstraction, a écrit au début du XXe siècle un livre intitulé Du spirituel dans l’art. Dans cet ouvrage, il évoque la présence de l’Esprit comme un des acteurs du renouveau artistique.
Les dons de l’Esprit
À l’inverse, peut-on dire que l’Esprit Saint crée des œuvres d’art ? Là encore, des surprises nous attendent. Dans la Bible, l’Esprit Saint est une force multiple et multiforme, qui crée du neuf, pousse à agir, renouvelle notre vision du monde, nous fait voir autrement. Comprendre l’Esprit Saint comme la présence agissante du Christ dans nos vies, selon le modèle développé par les Actes des Apôtres est vrai, mais limitateur. L’Esprit Saint dans la Bible est bien plus que cela. Paul le met en relation avec la perception et la valorisation des dons de chacun, les charismes (1 Corinthiens 12) ; Jean, avec un mode de présence de Dieu qui échappe à tout contrôle humain (Jean 3, verset 8) ; pour le prophète Joël, l’Esprit suscite chez tous (jeunes et vieux) des prophéties, des songes et des visions (Joël 3, verset 1). D’autres passages bibliques soulignent le lien entre la puissance invisible qu’est l’Esprit Saint et la vue ou la vision (Luc 4, verset 17). Il est même question d’un artiste nommé Betzalel, inspiré par l’Esprit : il est « rempli de l’esprit de Dieu, pour qu’il ait sagesse, intelligence, connaissance et savoir-faire universel; création artistique, travail de l’or, de l’argent, du bronze, ciselure des pierres de garniture, sculpture sur bois et toutes sortes de travaux artistiques ». (Exode 35, versets 31 à 33)
Les théologiens contemporains qui se sont intéressés à l’Esprit Saint ont d’ailleurs tous relevé ce lien possible entre manifestation de l’Esprit, dons personnels et création artistique. J’en cite deux : le « théologien de la culture » Paul Tillich, dans son ouvrage La vie de l’Esprit (1963) a mis directement en relation la manifestation de l’Esprit, la vue et la création artistique. Et il voit dans le peu d’intérêt que le protestantisme manifeste pour les arts visuels un signe qu’il n’a pas pris au sérieux « la nature même de l’Esprit», lequel manifeste « l’unité multidimensionnelle de la vie ». Le théologien d’origine pentecôtiste Walter Hollenweger, dans un ouvrage intitulé L’expérience de l’Esprit (1991), pense que les artistes « seraient tout à fait prêts à nous aider dans nos Églises, avec leurs dons et leurs charismes, si nous les y invitions ». Puis vient ce regret : « La raison des mauvaises relations entre les Églises et les arts, par exemple, pourrait être le fait que nous ne reconnaissions pas les charismes des artistes. »
Sans évoquer explicitement les œuvres d’art et les artistes, le réformateur Jean Calvin s’est extasié sur les dons de l’esprit, qu’il comparait à une fontaine « dont toutes les richesses célestes découlent sur nous ».
Jérôme Cottin,
professeur de théologie pratique
à la faculté protestante de Strasbourg