Nous avons un souci avec le temps. Nous en manquons. Parfois aussi, l’ennui nous fait croire que nous en avons trop… Le temps qui passe, le temps passé, les passe-temps, le temps perdu sont autant de problèmes que nous gérons sans plus nous en rendre compte, sinon à regarder nos horloges, nos agendas ou nos miroirs. Comment vivons-nous avec le temps qui passe et s’écoule de manière si inéluctable, qu’on nous dit qu’il fuit ? Les premières lignes du poème L’Horloge de Charles Baudelaire disent la peur du temps qui passe : « Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi ! (…) Trois mille six cents fois par heure, la seconde chuchote : Souviens-toi ! (…). » Pour le poète, le temps est accusateur et assassin. Il ne donne que souvenirs, regrets et angoisses. Chaque seconde de chaque heure rappelle qu’il est déjà trop tard, que nul retour n’est possible, que le temps ne se maîtrise pas. Et notre poète de se lamenter sur ce temps qui s’écoule et de dire son désarroi devant le bilan de sa vie. Combien sommes-nous, nous pauvres humains, à nous demander si nos vies servent à quelque chose ? Combien sommes-nous à regretter de ne pas avoir un passé assez brillant et vertueux ? Combien sommes-nous à considérer que nous avons été lâches plutôt que courageux ? Si nous devions trouver des réponses, les chercherions-nous dans les vers du poète ? Les chercherions-nous dans les souvenirs avec mélancolie ? Ou les chercherions-nous dans les paroles d’un prophète ? Il suffirait de lire la parabole du Jugement Dernier dans l’évangile de Matthieu (chapitre 25, versets 31 à 46) pour s’inquiéter encore un peu plus. Or, Matthieu écrit son évangile en un temps où la communauté chrétienne attend le retour du Christ. Plus l’attente se prolonge, plus la vigilance baisse. Alors Matthieu construit ce temps de l’attente comme un temps de l’urgence, ce présent de l’attente comme le temps des choix éthiques nécessaires pour un futur meilleur. C’est un rappel à la vigilance, une invitation à se mettre en route, de manière radicale. Avec confiance. Si nous devions conjuguer nos vies, seraient-elles au passé comme pour le poète, au futur comme pour l’évangéliste ? Au présent, à l’ici et maintenant ? C’est sans doute une question de circonstances et de choix.
Gwenaelle Brixius