Apocalypse nucléaire, apocalypse climatique, apocalypse démocratique, apocalypse écologique, apocalypse démographique, apocalypse virologique, apocalypse de l’IA, apocalypse cosmique… Les dieux semblent être de mauvaise humeur ces temps-ci, peut-être devraient-ils s’essayer au yoga. Si Damoclès s’était ému de voir une épée suspendue au-dessus de sa tête, comment faire avec tout cet arsenal de menaces planant au-dessus des nôtres ?
Essayons peut-être de répondre à la fameuse question : « si la fin du monde avait lieu demain que ferais-tu ? ». Comme Luther nous pourrions défier les angoisses millénaristes en répondant « je planterais un pommier », même pas peur ! Il formula également un autre aphorisme, moins connu. Souvenons-nous qu’à l’origine de sa vocation de théologien, il avait été un angoissé de première classe, terrifié par la question de son salut. La Réforme, en plus de ses facteurs externes qui la rendaient inéluctable (l’Église en perte de crédibilité, la naissance de l’humanisme) fut la conséquence de la victoire personnelle du théologien contre sa hantise de la mort. Victoire totale au point qu’il pourra dire : « Si on ne peut pas rire au paradis, je ne tiens pas à y aller ». Quel chemin parcouru : de l’angoisse au rire. Comme certains dirent « plutôt rouge que mort » lui aurait pu dire « plutôt l’enfer que le sérieux ! » ou « pas de foi sans le rire ! ». Comme la foi le rire est une arme de destruction massive des idoles, des certitudes, de tout orgueil.
Comme la foi le rire est un « décapant », de tout ce à quoi nous sommes attachés, toutes nos fascinations pour les prétendues sagesses, le pouvoir, l’intelligence, l’argent, le paraître. Comme la foi, le rire est théologique : il agit à la façon de Dieu : « Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ; et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu’on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont. » (1 Corinthiens 1, versets 27 et 28). Comme la foi, le rire dissout tout ce que nous sacralisons. Le sacré est comme un vernis dont nous couvrons nos convictions pour les figer. Lorsque le rire passe, les certitudes et prétentions se retrouvent mises à nu, comme l’empereur dans le conte d’Andersen.
L’humour : une grâce de Dieu
Peut-on apprendre le rire ? Ou sommes-nous doublement prédestinés : certains à l’humour, d’autres au manque d’humour ? Je crois que l’humour est une grâce de Dieu, donnée avec la foi. Par la foi, je peux rire de tout car aucun sacré ne résiste à Dieu, pas même Dieu. Je peux rire de Dieu car le Dieu dont je ris n’est que le vernis dont les Hommes l’ont revêtu. C’est pourquoi il est bon aussi de rire des religieux dont le métier est de tenir des discours sur le vernis qui recouvre Dieu.
De la même façon par la foi, je peux rire de « la fin du monde », qui n’est finalement qu’une des façons de mourir. Or qu’est-ce que mourir ? Un moment inconfortable que j’aimerais dispensable, mais qui n’est pas la fin. Je peux donc rire également de la mort, c’est pourquoi j’aime citer cette ritournelle lors des obsèques : « Monsieur d’la Palisse est mort, il est mort devant Pavie, un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie. Il mourut le vendredi, s’il fût mort le samedi, il eût vécu davantage ». Et si donc la fin du monde tardait à venir, nous vivrions davantage.
Si l’inquiétude persiste malgré tout, pense à cette parole de la lettre de Pierre « déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car lui-même prend soin de vous » (1 Pierre 5, verset 7).
Et si tu penses que ma chronique manque de sérieux, je te laisse méditer cette pensée d’un humoriste méconnu qui interrompit trop tôt sa carrière de comique : « La bouse de la vache est plus utile que les dogmes : on peut en faire de l’engrais » (Mao Tsé-Toung).
Jean-Mathieu Thallinger,
pasteur
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