Chanter, ou transformer le monde

Formée au chant sacré d’Orient et au chant lyrique, Fanny Perrier-Rochas a un parcours atypique. Diplômée de Science Po Paris en 2013, cette chanteuse de 31 ans originaire du Vexin - entre Paris et la Normandie – et issue d’une lignée de pasteurs cévenols, a passé trois étés à travailler comme bergère dans les Hautes-Alpes avant de se consacrer au chant. Elle a chanté lors des Sacrées Journées de Strasbourg en 2019, donne des concerts, compose mais anime aussi des ateliers lors desquels elle transmet son rapport particulier au chant. Celui d’un acte intimement lié au souffle et donc sacré par essence. 

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Comment avez-vous découvert votre voix ?
J’ai découvert ma voix à Paris lors d’un atelier de chant donné par le chanteur et compositeur Haïm Isaac, qui fait aujourd’hui la mise en scène de mes spectacles. Je devais improviser avec un pianiste. Tout à coup, j’ai senti ma voix qui sortait dans une sorte de cri. Lorsque je m’en souviens, j’ai la vision d’un éclair qui transperce le ciel, comme si j’avais déchiré une peau, que j’avais lâché quelque chose qui s’exprimait. Ça sortait vraiment. C’était autant du cri que du chant. Je me suis dit à ce moment-là que j’avais franchi une membrane, brisé la glace d’une certaine manière. J’avais déjà chanté avant, mais je ne m’étais jamais sentie dans cette liberté-là d’aller vers une sorte de puissance.

 

Qu’est-ce qui vous a attirée dans le chant sacré de manière générale ?
J’y suis venue en parallèle de mon activité de bergère dans les Hautes-Alpes. À cette époque, lorsque mes brebis chaumaient le midi, j’aimais aller chanter dans une chapelle. Suite à cela, je me souviens avoir été appelée par ma voix. Je me suis dit que j’avais envie que le chant prenne plus de place dans ma vie. C’était comme une intuition qui se confirmait. Je me suis inscrite au conservatoire de chant lyrique à Paris et suis alors entrée dans un aspect très technique du chant. J'aimais bien cela mais il me manquait quelque chose : un aspect méditatif. Je me suis tournée vers le chant sacré pour retrouver cette dimension de connexion à soi-même, de centrage,d’alignement, voire de prière, qui ne relève pas de la technique mais d’une forme de présence.

 

Dans le chant sacré il y a énormément de traditions différentes.
Qu’est-ce qui vous a plus précisément amenée vers les chants syriaques et byzantins ?
J’ai eu envie de me connecter à des langues qui sont des langues originelles. Je ne parle pas le grec ancien ou l’araméen, mais les sonorités de ces langues me semblent familières. Ce qui est véhiculé à travers ces langues me parle. Ce qui m'a tout de suite séduite également, c'est que ces musiques sont un pont entre l'Orient et l'Occident. Dans la musique byzantine par exemple, on improvise et on chante des modes qui proviennent des deux cultures occidentales et orientales. Enfin, ce sont les chants des premiers chrétiens. C’est un retour aux sources, ou à l’une des sources de notre société judéo-chrétienne.

 

Est-ce qu’il y a une façon particulière de chanter le sacré ?
Dans le chant sacré, la technique n’est pas seulement vocale, c’est aussi une qualité de présence à mettre en œuvre par le souffle et le rapport à l’instant. Quand on commence à chanter, on offre une prière. Il faut se dire que chanter, c’est transformer le monde, car la voix est une énergie. Mais cette conscience des choses peut être très simple, sans technique particulière. Pour moi, le chant est sacré quoi que l’on chante. Et j’essaie de donner cette qualité de présence, d’intention, à tout ce que je chante, que ce soient les chants que j’écris en français et en anglais ou les chants sacrés traditionnels.

 

Vous vous êtes formée au chant sacré d’Orient grâce à l’enseignement dispensé par les ordres melkites à la Cité internationale des arts à Paris, mais aussi au chant lyrique occidental. En quoi leurs approches sont-elles différentes ou semblables ?
Pour ce qui est de la tradition sacrée d’Orient, je dirais qu’il y a une dimension de qualité de présence au chant. Les chants syriaques, qui sont les ancêtres des chants byzantins, sont des chants très épurés, avec très peu de mélismes [figure mélodique où une syllabe est chantée sur plusieurs notes, comme le Kyrie eleison grégorien, N.D.L.R]. On trouve des mélodies qui se déploient sur une tierce : c’est d’une sobriété déconcertante. Alors on va explorer les textures. Une chose que j’ai développée dans le chant sacré par exemple, sans que l’on me l’ait forcément appris, c’est de faire naître des paysages et des images dans mon imaginaire. Quand j’interprète un chant syriaque en araméen, je peux facilement m’imaginer que je suis dans un désert et que j’offre ce chant au soleil et aux éléments, que je sens le vent et la lumière sur mon visage. Les chants lyriques sont des chants beaucoup plus complexes : il faut s’accrocher techniquement pour se hisser à la hauteur de ce que l’on doit interpréter et j’ai moins d’espace pour projeter un paysage visuel. Mais il y a moins de différences que ce que l’on peut imaginer entre les deux traditions : je pense que les grandes chanteuses lyriques ont une qualité de présence particulière quand elles chantent.

 

Aujourd’hui, vous animez des ateliers d’initiation au chant. Que cherchez-vous à transmettre ?
Le plaisir de chanter, la joie que ça donne de se sentir créatif dans la voix. Je n’ai pas été élevée dans une tradition religieuse particulière mais j'ai toujours été intéressée par différentes spiritualités orientales, comme le shivaïsme cachemirien, pour lequel le souffle est le pilier de l’être. Ce que j’enseigne dans ces ateliers, c’est à dénouer le corps de ses blocages pour réapprendre à respirer comme des bébés ou comme des animaux, en trouvant un alignement de la colonne vertébrale. L’idée c’est de revenir au souffle avant même de chanter. Le diaphragme, muscle de la respiration, est notre moteur en tant que chanteur ou chanteuse. C’est aussi une sorte de porte sacrée à l’intérieur de nous qui permet de passer du spirituel au matériel, de l’esprit au corps en faisant circuler le souffle. Ce qui unit l’esprit et le corps.

 

Vous transmettez donc un chant qui est aussi acte spirituel...
Pour moi tout est spirituel. Par exemple, lors d’un stage botanique et chant, on s’est mis autour d’un vieil aulne le dernier jour et on a fait une improvisation à partir des textures vocales. Nous n’étions que des femmes et nous nous relayions, trois par trois. On était loin du chant sacré d’Orient ou de toute tradition vocale. Mais il y avait quelque chose d’extrêmement sacré. Nous étions toutes autour de cet arbre à entendre et honorer les sons. Ce petit rituel informel a pris une dimension assez forte, parce qu’on se sentait très libres dans la créativité. Nous étions en connexion les unes aux autres, et avec les éléments. C’était comme rendre une prière.

Propos recueillis par Anne Mellier

 


 Fanny Perrier-Rochas sera en concert au festival d’Avignon du 7 au 31 juillet 2021

Le spectacle Du fond des Âges, un voyage a cappella dans les mémoires du mondes, autour des chants sacrés d’Orient, sera donné au festival d’Avignon du 7 au 31 juillet à 16h30, dans la chapelle des italiens, 33 rue Paul Sain, 84000 Avignon. Réservations : 09 52 42 66 72.

Informations : www.fannyperrierrochas.com

Pour organiser des séminaires de chant (minimum 12 personnes), contacter Fanny Perrier-Rochas : cappellacompagnie@gmail.com

 

 

 

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