À l’occasion du trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, Le Nouveau Messager a rencontré en octobre 2019 Friederike von Kirchbach. Plus que d’être un témoin privilégié de la chute du mur et de la réunification, cette pasteure allemande a aussi vécu la fusion des cultures d’Église des deux Allemagne.
Née en 1955 à Gersdorf près de Leipzig en ex-République Démocratique Allemande (RDA), Friederike von Kirchbach a grandi d’abord à Neuhausen dans la région des monts métallifères, puis à Meissen au bord de l’Elbe.
Ses parents, Sieger von Kirchbach, pasteur, et sa mère Dorothea née Helm, musicienne, décident de s’installer en RDA avant la naissance de Friederike. Ils s’y installent non par conviction politique, mais pour répondre à l’appel de la petite Église protestante est-allemande qui se trouve être en manque de pasteurs. Très proches de l’Église confessante1, ses parents inscrivent ainsi dans l’ADN de leur famille la nécessité de s’opposer à toute forme de dictature, et donc à celle qui existe alors en Allemagne de l’Est.
Après le lycée, Friederike von Kirchbach étudie la théologie à Leipzig, Jena et Naumburg. Elle se marie en 1979 et a trois enfants. Après avoir consacré sept années à son foyer, elle devient responsable régionale des groupes de jeunes2. C’est donc entourée de la jeunesse protestante de son Église que Friederike von Kirchbach vit les événements de l’automne 1989 et la chute du mur de Berlin.
Pour un dialogue œcuménique, interreligieux et culturel
Friederike von Kirchbach a toujours cherché à interpeler en dehors du seul milieu ecclésial. Par l’organisation de manifestations culturelles, elle souhaite ainsi nouer un dialogue avec des publics, soit éloignés de l’Église, soit hostiles à la religion. Elle est pasteure pendant quelques années à Kreischa près de Dresde, tout en occupant un poste d’aumônier dans une clinique où elle s’occupe essentiellement de patients souffrant de démence.
En 2000, elle est élue secrétaire générale du Kirchentag3. C’est la première fois qu’un pasteur de l’ex-Allemagne de l’Est accède à cette fonction. C’est sous sa direction qu’ont lieu les Kirchentag de Francfort et d’Hanovre et le tout premier Kirchentag œcuménique à Berlin.
En 2005, elle est la première femme à être nommée au poste de directrice théologique de l’Église protestante régionale de Berlin – Brandenbourg – Haute Lusace silésienne (EKBO). Elle devient, dans le même temps, porte-parole de l’évêque de cette Église. Pendant la durée de sa mission, elle donne au travail œcuménique et au dialogue interreligieux une grande visibilité médiatique et s'engage avec son Église dans des actions pour l'environnement.
Depuis octobre 2015, Friederike von Kirchbach est en charge du dialogue interreligieux et des relations œcuméniques pour les églises du centre-ville de Berlin et est pasteure de la paroisse berlinoise Saint-Thomas dans le quartier du Kreuzberg.
Elle dirige depuis 2013 le conseil de l’audiovisuel de la Radio Berlin Brandenbourg (RBB) et c’est à ce titre qu’elle est membre de la conférence des présidents de l’ARD, le groupement des radios publiques allemandes.
Solange Wydmusch, membre de l'EKBO
(trad. Claire Gandanger et Gwenaelle Brixius)
Trois questions à Friederike von Kirchbach, pasteure à Berlin
Où vous trouviez-vous à l’automne 1989, avant la chute du mur ?
À l’automne 1989, je vivais dans un village près de Dresde, en Allemagne de l’Est. Mon mari y était pasteur. J’étais engagée dans le travail de jeunesse de notre Église. Avec du recul, je pense que c’était là la meilleure place à occuper à cette époque et dans cette partie de l’Allemagne. Les jeunes étaient enthousiastes et nombreux. Ils trouvaient chez nous un lieu où parler librement. On disait d’ailleurs qu’ils étaient les « sismographes de la situation politique ». Dès l’été 1989, nous sentions de la fébrilité. Nous avions surtout peur pour les jeunes de nos groupes, peur qu’ils aillent trop loin dans leur engagement politique et que, à cause de cela, ils compromettent leurs chances de pouvoir suivre des études. Un juriste de l’Église de Saxe nous avait dit : « Veillez à ce que les personnes qui vous ont été confiées ne se mettent pas en danger inutilement. Votre travail a du sens. Faites ce qui vous semble juste. Si vous deviez avoir un conflit avec l’État, vous pourrez compter sur nous. » En tant que personnel ecclésial, nous bénéficiions d’une certaine protection de notre Église, elle-même très critique vis-à-vis du régime, mais ce n’était pas le cas des jeunes que nous accompagnions. Malgré une apparente tolérance, l’objectif du régime totalitaire de la RDA était de bannir les Églises de la société, d’effacer leur influence et surtout, de discréditer les jeunes chrétiens. Cela n’a pas empêché ces mêmes jeunes de prendre très largement part aux manifestations de l’automne 1989. Dans cette petite Église de RDA, nous nous connaissions tous et cette promiscuité m’a souvent gênée. Nous manquions d’air. Cet air s’est engouffré en abondance à l’automne 1989 jusqu’à parfois devenir tempête.
Comment avez-vous vécu ce tournant de la chute du mur ?
Tout était différent ! Et cela s’est accéléré après la réunification de l’Allemagne en octobre 1990. Notre monnaie était nouvelle. Dans les magasins, nous trouvions des produits complètement inconnus.
Tout changeait, jusqu’aux mots qui n’avaient plus le même sens. Par exemple, en RDA, la journée d’école commençait par la salutation du professeur « Soyez prêts ! », à laquelle les enfants devaient répondre par « Toujours prêts ». C’en était fini des « Toujours prêt » ! Toutes les règles changeaient et c’était comme déménager dans un pays lointain, sauf que nous étions restés sur place. On m’a conseillé de devenir pasteure le plus rapidement possible, afin de garantir mes revenus. C’est ce que j’ai fait. Je me suis alors retrouvée dans une Église dont l’impôt était prélevé par l’État, qui avait des aumôniers militaires et des enseignants de religion. Même si dans notre région certaines personnes auraient préféré garder leur petite Église telle qu’elle était sous le régime de la RDA, à savoir courageuse et résistante à toute sorte de répressions politiques, les temps avaient changé. Nous sommes devenus membres de l’Église protestante d’Allemagne (EKD) et aujourd’hui, je me sens bien dans cette grande Église : elle se fait entendre et est entendue dans la société, elle est ouverte et elle s’adresse à tous.
Vous avez eu des responsabilités pour le Kirchentag et pour l’Église protestante de Berlin-Brandebourg-Haute Lusace silésienne (EKBO). Comment avez-vous vécu la réunification des Églises est et ouest-allemandes ?
Être originaire de l’Est, jeune et mère de trois enfants, a aidé ma carrière dans l’Église. En 1989, un synode de l’Église protestante d’Allemagne a très fortement encouragé l’accession des femmes à des postes à responsabilités. Malheureusement, par la suite, cela a moins été le cas. L’expérience à l’Est, dans une société et une Église complétement différentes, a clairement apporté quelque chose. Mais, quand le monde est devenu autre, les gens qui avaient grandi en Allemagne de l’Ouest arrivaient mieux à s’imposer que nous. Nous qui venions de l’Est étions minoritaires dans les instances dirigeantes et nous préférions garder le silence lors des débats que souvent nous ne comprenions pas. Il n’y a pas eu de « solidarité de l’Est ». Généralement, nous étions plus vite en désaccord entre Allemands de l’Est qu’avec celles et ceux de l’Ouest. C’était vrai dans les Églises régionales comme au sein du Kirchentag. Entre-temps, la situation de l’Église allemande est devenue beaucoup plus difficile, sur le plan des finances comme du nombre de ses membres. Peut-être que la bonne vieille « expérience de l’Est » d’une petite Église ignorée de la majorité pourrait être utile pour mieux envisager l’avenir.
Propos recueillis par S.W. (trad. C.G. et G.B.)
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