Cette année 2023 marque les 500 ans de l’arrivée de Martin Bucer (1491-1551) à Strasbourg. L’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine a élaboré un programme sur plusieurs mois autour de ce Réformateur trop peu connu tout en souhaitant aussi mettre l’accent sur l’actualité de son message.
Un vitrail de l’église protestante de Weitbruch montre, debout entre Martin Luther et Huldrych Zwingli, le Réformateur strasbourgeois Martin Bucer. Au centre de la composition, le visage serein, les mains désignant pour l’une un texte de Luther, pour l’autre des feuillets rédigés par Zwingli. Bucer fait office de médiateur entre le Saxon et le Zurichois. Cette représentation de Bucer rend justice à l’un des aspects les plus connus de son activité débordante : ses efforts pour réconcilier Luther et Zwingli qui, dans la seconde moitié des années 1520, se querellèrent au sujet de la présence du Christ dans la Cène. En 1529, Bucer parvient à réunir ses deux collègues à Marbourg, mais son succès n’est que partiel : les Réformateurs de Strasbourg, de Bâle, de Zurich et de Wittenberg s’entendent sur 14 articles doctrinaux, mais pas sur le 15e, relatif au sens des paroles d’institution de la Cène, « Ceci est mon corps… ». Et lorsqu’en 1536 est signée la Concorde de Wittenberg, après que Bucer a parcouru des milliers de kilomètres en Allemagne et en Suisse et échangé des centaines de lettres conciliatrices, les Allemands du Sud et les Saxons sont partie prenante, mais non les Suisses. Toutefois, on ne saurait réduire Bucer à cet oecuménisme intra-protestant, aussi important fût-il. Bucer fut tout d’abord le théologien de la sanctification. N’ayant plus à chercher la réponse à la question « comment puis-je être sauvé ? » ou « comment puis-je avoir un Dieu qui me fasse grâce ? », il s’est emparé de l’interrogation suivante :
« Comment vivre, en tant qu’individu et en tant qu’Église, à l’échelle de la cité, ce salut reçu gratuitement ? » En d’autres termes, sans renier aucunement la justification (re)découverte par Luther, il a mis l’accent sur la vie nouvelle en Christ et sur la dimension communautaire et sociétale de l’Évangile. À lui seul, le titre de l’écrit programmatique qu’il publie en 1523, Que nul ne vive pour soi-même, mais pour les autres, et comment y parvenir, montre le rôle essentiel qu’il accorde à la solidarité entre les créatures.
Les petites communautés
Le lieu le plus approprié pour vivre cette solidarité n’est pas la Cité, même si Bucer partage avec les autorités de Strasbourg le souci du « bien commun ». Il s’agit de la paroisse, dont les membres sont instruits par la prédication et par des cours portant sur la Bible : Bucer donne des enseignements dès son arrivée à Strasbourg en 1523 et ces leçons sont la cause, en 1529, de son départ de Sainte-Aurélie pour Saint-Thomas : cette paroisse est plus proche de son lieu d’enseignement, à l’endroit de l’actuel Temple-Neuf. Afin que les Strasbourgeois mènent une vie plus agréable à Dieu, Bucer crée en 1531 le ministère des « anciens » ou « surveillants de paroisse », chargés de veiller sur les mœurs des fidèles. Mais ni cette institution, ni la catéchèse accrue – avec l’instauration, vers 1540, de la confirmation –, et moins encore le recours aux autorités civiles ne produisent l’amélioration espérée des individus et de l’Église. C’est pourquoi, fin 1546 - début 1547, Bucer fonde, au sein même des paroisses, des christliche Gemeinschaften. Ces petites « communautés chrétiennes » n’ont rien de sectaire – reproche que Bucer adresse aux anabaptistes dont il estime par ailleurs la vie religieuse –, mais elles visent à insuffler une dynamique nouvelle à l’ensemble de la communauté. À Saint-Thomas et à Saint-Pierre-le-Jeune, pasteurs et anciens animent ces petits groupes de fidèles qui s’exhortent mutuellement à pratiquer la charité et aspirent à recevoir des enseignements plus poussés. Toutefois, certains collègues de Bucer, de même que le Magistrat, regardent ces groupes avec méfiance. C’est pourquoi, même si les Gemeinschaften survivent au départ forcé, le 6 avril 1549, de Bucer et de son collègue Paul Fagius (Saint-Pierre-le-Jeune) pour l’Angleterre, elles déclinent et finissent par disparaître en 1550. C’est un autre Alsacien, Spener (1635- 1705), qui reprendra cette innovation avec succès : ses conventicules piétistes ont donné plus tard naissance aux petits groupes de prière que nous connaissons encore aujourd’hui.
Matthieu Arnold,
professeur d’Histoire moderne à la faculté de théologie protestante de Strasbourg
Grand connaisseur de la Réforme à Strasbourg, à laquelle il a consacré plusieurs livres, et en particulier de Martin Bucer, dont il a édité des écrits latins, Marc Lienhard était le mieux placé pour célébrer le jubilé de 2023 par un livre à la fois accessible à tous et très bien informé. En dix chapitres, il présente la vie et la théologie de Bucer, y compris sa conception de la musique et du chant d’église, ainsi que son rayonnement à travers l’espace – l’Europe tout entière – et le temps : ainsi, le chapitre 9 traite de son image du XVIe siècle à nos jours et le chapitre 10 raconte l’histoire, passionnante, de l’édition de ses écrits. Enrichi de plusieurs illustrations, ce livre renferme une précieuse chronologie et une bibliographie fort complète.
M. A. Marc Lienhard, Martin Bucer, hier et aujourd’hui (travaux de la faculté de théologie protestante de Strasbourg 21), 2023, 179 p., 14 €.
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