Pierre Prigent nous a quittés le 23 décembre dernier. Il venait de fêter son 96e anniversaire. Pierre Prigent était une personnalité attachante : théologien et exégète d’une rare érudition et d’une rigueur académique irréprochable, mais aussi professeur soucieux de transmettre le fruit de ses recherches au grand public, à commencer par les paroissiens, et enfin – ce qui ne gâche rien – homme d’une profonde humilité.
Pierre Prigent est né à Strasbourg le 11 décembre 1928. En 1940, sa famille se réfugie en Bretagne, berceau familial, où son grand-père Georges Somerville est pasteur baptiste : il lui consacrera d’ailleurs plus tard un livre de souvenirs, sous le titre Mon grand-père (1999), évocation extraordinaire d’un passé révolu, d’un personnage hors-normes, et de ses improbables méthodes d’évangélisation. Pierre Prigent fréquente le lycée de Saint-Brieuc, puis il entreprend des études de théologie protestante à la Faculté de Paris, à l’École Pratique des Hautes Études, et au Collège de France. Venant d’un milieu baptiste, il prend conscience du fait, quelque peu incongru pour un étudiant en théologie, qu’il n’est pas baptisé ; aussi, ce n’est qu’à l’âge de 19 ans qu’il reçoit le baptême, par immersion. En 1953, il épouse Christiane Thonger ; le couple aura deux enfants : Marianne et Jean-Yves.
Pierre Prigent est tout d’abord chargé de recherches au CNRS à Paris, et assistant du grand théologien Oscar Cullmann (de 1953 à 1964). En 1964, il est nommé maître de conférences à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, chargé de l’enseignement des langues bibliques. Il est titularisé comme professeur de philologie biblique (à défaut d’une chaire en Nouveau Testament, qui est son champ de compétences privilégié). Il enseignera à la faculté de Strasbourg jusqu’en 1997, marquant fortement deux bonnes générations d’étudiants.
Transmettre
L’un des premiers jalons de cette carrière académique est la participation à l’aventure de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB). Avec son sens de l’Église et ses qualités d’exégète, Pierre Prigent était en effet attaché à la cause de l’unité des chrétiens. Le second jalon est la création du Centre d’Analyse et de Documentation Patristiques (CADP). Pierre Prigent est en effet un spécialiste des Pères de l’Église, de la vie des premiers chrétiens, et de l’iconographie du judaïsme et du christianisme anciens. Il consacrera plusieurs publications à ces champs de recherche : Épître de Barnabé (1971), Justin et l’Ancien Testament (1972), Le judaïsme et l’image (1990), L’art des premiers chrétiens (1995). Le troisième jalon est l’engagement dans la formation à l’audiovisuel, orientation très novatrice pour l’époque. Conscient de l’importance de cette technique pour la vie des Églises, il entraîne dans son apprentissage de nombreux étudiants en théologie, et sera même responsable du service commun de l’audiovisuel de l’Université des sciences humaines de Strasbourg. Il faut dire que les problématiques liées, non seulement à l’image, mais au cinéma, lui tiennent particulièrement à cœur. Cela le conduit à écrire plusieurs ouvrages à ce sujet : Jésus au cinéma (1997), Ils ont filmé l’invisible. La transcendance au cinéma (2003).
Le quatrième jalon, et non le moindre, est constitué de recherches approfondies sur l’Apocalypse de Jean, qui ont fait de Pierre Prigent l’un des experts internationalement reconnus du dernier livre de la Bible. Il y a consacré deux cahiers : Apocalypse 12. Histoire de l’exégèse (1959) et Apocalypse et liturgie (1964), mais surtout un commentaire de référence, devenu classique : L’Apocalypse de Saint Jean (1981, réédition 2000). Quant au cinquième jalon, il concerne son intérêt pour la narration biblique, notamment pour la catéchèse d’enfants et d’adultes : il monte un groupe à cet effet avec d’autres conteurs, dans le souci de transmettre le message biblique au plus grand nombre. Son dernier livre, paru peu après sa mort, est une série de contes, en particulier de contes de Noël, d’une fraîcheur et profondeur inégalées. Il nous laisse également ses œuvres artistiques : mosaïques, icônes, sculpture sur bois. Par-delà son départ vers notre Père céleste, Pierre Prigent demeure pour nous tous un virtuose de la transmission.
Frédéric Rognon