Histoire d'une institution protestante
Le vendredi 15 octobre, l’établissement scolaire protestant, le Gymnase Lucie Berger à Strasbourg, fêtera son 150e anniversaire. C’est le 16 octobre 1871, sous l’impulsion du pasteur François Haerter et du comité de la Maison des Diaconesses de Strasbourg, que s’ouvre cette institution scolaire au coeur de la cité.
Sous la direction de Lucie Berger (1836- 1906), le Collège, alors appelé Le bon pasteur, du nom de l’ancien couvent racheté par les Diaconesses de Strasbourg, ouvre ses portes il y a 150 ans. Sans diplôme, sans instruction particulière et sans pour autant enseigner, Lucie Berger montrera de grandes qualités pédagogiques et sera l’âme de l’école. Madeleine Cohn-Hoeffel, élève à la fin du XIXe siècle, écrit à son sujet : « Professeurs et élèves la révéraient presque comme une sainte. Peut-être en était-elle une, car l’atmosphère qu’elle créait autour d’elle touchait au sublime. Avec cela, elle restait toujours simple, chaleureuse et naturelle. Elle aimait la joie et le rire des enfants et surtout leurs chants. »
Dès sa création, l’objectif de l’école était l’instruction et l’éducation des jeunes filles de la classe moyenne pour leur permettre d’acquérir une culture générale avec un enseignement manuel et ménager. Une innovation pour l’époque. Les méthodes pédagogiques devaient viser à former la personnalité des élèves, les enseignantes et enseignants s’adressaient ainsi autant à l’intelligence qu’au coeur.
Du bon pasteur au Gymnase Lucie Berger
En 1871, 16 élèves sont inscrites au Collège. Cinq ans plus tard, elles sont 250. Aujourd’hui, l’établissement compte plus de 800 élèves. Le Collège Le bon pasteur, ne portera le nom de Lucie Berger qu’après la Grande Guerre, en 1919. Il deviendra Le Gymnase Lucie Berger, en juin 2006 lorsqu’est créé le Conseil protestant de l’éducation de Strasbourg par l’Établissement des Diaconesses et la Fondation Haute-École. Ce Conseil gère le projet éducatif de l’établissement. Le Gymnase, situé d’une part sur le site de Lucie Berger pour les classes allant de la maternelle à la classe de 5e et d’autre part sur le site de Jean Sturm pour les classes de 4e à la Terminale.
Le Collège Lucie Berger n’en est pas à sa première association avec Le Gymnase Jean Sturm. Dans les années 1920, le Collège prépare les élèves au baccalauréat, et les résultats sont bons grâce à une collaboration entre les deux établissements. Dans un témoignage laissé par Lucie Pont, alors directrice, on apprend que « la proportion des élèves reçues au baccalauréat ne descendait pas au-dessous de 80% et a connu 100% pour la première fois en 1927 et plusieurs fois par la suite… »
Dans un entretien donné au Messager Évangélique, en 1971, pour le centième anniversaire du Collège, à la question portant sur la différence entre établissement scolaire public et établissement privé, Émile Rouverand, directeur d’alors, répondait : « Je pense que la seule grande différence peut se résumer en une intention manifeste et explicite de reconnaître, au sein du Collège, la seigneurie de Jésus-Christ et de maintenir vivante la devise jadis gravée au fronton de la porte de l’externat : Ora et labora – prier et travailler. »
Gwenaelle Brixius
Pour marquer le 150e anniversaire de l’établissement, des ateliers, animations et allocutions à destination des élèves, professeur.e.s et personnels se tiendront tout au long de la journée du vendredi 15 octobre. Informations et contact : Eloi Lobstein - eloi.lobstein@legymnase.eu.
Passage de témoin
Ultra-minoritaire dans le paysage français, l’enseignement protestant continue de se réformer pour s’adapter au XXIe siècle. Focus sur le Gymnase.
Il y a un an, une enquête avait été lancée auprès des 1 500 familles scolarisant un ou plusieurs enfants au Gymnase qui regroupe les sites de Lucie Berger et de Jean Sturm, héritier de la Haute École de Strasbourg fondée en 1538. À l’arrivée, moins d’un tiers des parents citent « les valeurs humanistes et protestantes » comme critère de leur choix. Et, alors que « la foi » est mise en avant par les familles qui préfèrent le Collège épiscopal Saint-Étienne, elle n’est citée que par 2 % des parents du Gymnase.
Majoritairement, ces derniers plébiscitent le « travail et la rigueur », c’est-à-dire l’excellence qui fait la réputation du Gymnase. « Si l’aspect confessionnel n’est pas un choix de coeur, il devrait être un choix de sens de vie », plaide l’inspecteur ecclésiastique Philippe Gunther, membre-fondateur en juin 2006 du Conseil protestant de l’Éducation de Strasbourg. « Un peu plus de visibilité ne nuirait pas », suggère ce pasteur qui relève « les attentes plus humaines des élèves ».
Pour autant, la charte du Pôle éducatif protestant, chapeauté par la Fondation Saint-Thomas et les Diaconesses, parle bien de « tradition humaniste », de « référence chrétienne dans son expression protestante », des « valeurs de la République ». Mais aussi de « liberté de conscience ». « On ne demande pas leur religion aux enfants. La plupart des familles sont agnostiques », a pu constater Guy Mielcarek, directeur durant dix ans du Gymnase, qui vient de passer le témoin à Philippe Buttani, ancien proviseur du lycée français de Munich.
« L’enseignement privé protestant sous contrat avec l’Éducation nationale ne représente que 0,13 % des effectifs, contre 96 % pour l’enseignement catholique », rappelle Guy Mielcarek, qui est par ailleurs secrétaire général du conseil scolaire de la Fédération protestante de France. L’explication est historique. Sous la IIIe République, les protestants ont rendu leur 800 à 1 000 établissements à l’État… sauf en Alsace-Moselle qui était prussienne. Après la douloureuse fermeture du Collège Cévenol de Chambon-sur-Lignon en 2014, il ne reste plus que quatre établissements protestants en France. Avec ses 2 200 élèves, Le Gymnase est de loin le plus important.
Élitiste le Gymnase ?
« On vient au Gymnase pour travailler », réplique l’ancien directeur, en soulignant « l’augmentation d’élèves boursiers à potentiel ». Au-delà des savoirs, l’objectif est de proposer aux élèves « un travail sur la motivation par le sens, pour qu’ils puissent construire leur orientation ». Plus sélective, la filière Baccalauréat international, liée à la section bilingue anglaise, montre « la capacité d’innovation du réseau protestant », se félicite-t-il.
Saluant « le travail remarquable » de Jean- Pierre Perrin et Guy Mielcarek, leur successeur Philippe Buttani, 53 ans, prend ses fonctions en septembre, « avec enthousiasme et humilité. » Mais la pandémie ne lui laissera pas de répit, comme en attestent les deux dossiers : « la sécurité, à la fois sanitaire et sur un plan plus général, et la communication » qu’il compte privilégier. Sans oublier « le projet éducatif, avec l’objectif de rassembler tous les élèves » et une attention à ceux plus défavorisés ou souffrant d’un handicap. De culture catholique, comme ses deux prédécesseurs, il se dit « en adéquation avec les valeurs du Gymnase », ayant perçu dans ses premiers contacts « une ouverture d’esprit et l’acceptation de l’autre… »
Arrivé il y a deux ans, l’aumônier Éloi Lobstein a, malgré le Covid, « assuré une présence et un accompagnement » sur les deux sites, Jean Sturm et Lucie Berger. Son rôle est multiple : organiser des moments cultuels, participer à des animations montées par la communauté éducative, comme les Olympiades de la solidarité ou la collecte de jouets avec l’association Les Disciples de la paroisse protestante de Cronenbourg, monter des projets, comme les rencontres avec les Soeurs de Madagascar avant Noël. Et tout simplement « rappeler ce qu’est le protestantisme ». La quadrature du cercle.
Yolande Baldeweck
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