Chaque année, Noël invite les chrétiens à célébrer la naissance du Christ en tant que source de lumière pour le monde. Au cœur des longues nuits d'hiver, cette fête interroge notre rapport à la clarté. À l'espoir.
Je ne saurais dire exactement quand est-ce que ça commence, chaque année. Si j’en crois le calendrier, cela se situe aux environs de la fin septembre. Lorsque l’équinoxe marque un bref équilibre entre le jour et la nuit avant de laisser le champ libre à cette dernière. Suivent de longues semaines où la lumière s’amenuit doucement. Imperceptiblement. Jusqu’à ce matin de novembre où je me réveille étonnée de voir l’aube si grise et indistincte.
Le jour s’en est allé tel que nous le connaissons. Le ciel se fait anthracite ou bleu pâle. Voici venir la saison de la pénombre et de sa temporalité si particulière. D’abord, j’avoue ne pas trop prêter attention aux matins sombres et aux crépuscules hâtifs grignotant les fins d’après-midi. J’avoue refuser de ralentir mon rythme ou de me plier aux lois de la saisonnalité. Jusqu’à ce que l’obscurité n’apparaisse inéluctable.
Vivre la nuit
La saison sombre porte en elle une leçon d’humilité : on ne vit pas la nuit comme on vit le jour. Le temps y est comme épaissi, ralenti. Lové au sein du foyer où l’on reste plus volontiers. Les heures s’étirent paresseusement à la lueur des bougies que j’allume ici et là. Pour quoi d’ailleurs ? Longtemps, j’ai cru qu’il s’agissait de me protéger des ténèbres et de ce qu’elles charrient d’inconnu. J’avais tort : il s’agit au contraire de savoir les apprivoiser.
Clore fenêtres et paupières. Habiter l’obscurité sans la craindre. Faire tanière en son for intérieur. Ralentir, ralentir, ralentir. La nuit est une saison au souffle lent qui soumet le monde à son rythme. Faune, flore, humanité. L’heure est aux racines. À l’immobilité sereine. Aux veilleuses et lumières douces qui respectent le besoin d’ombres paisibles, intimes et confortables.
Toute prête à céder à cet assoupissement tranquille, je dois lutter pour suivre le rythme effréné des fêtes de fin d’années. Éclairages criards des magasins où il faut entrer faire ses cadeaux. Chansons de Noël à tue-tête. Foule en promenade. Décorations partout. Qu’espère-t-on conjurer ? Qu’y a-t-il de si terrible à se soumettre à la nuit ? À s’arrêter ?
Le début du mois de décembre sonne l’heure d’une fugue buissonnière. Quitter la ville et ses lumières artificielles pour aller marcher au milieu des forêts dénudées. Du vent et du froid. Accepter pleinement ce changement de paradigme qui veut que l’on regarde autrement la lumière. Non comme un dû mais comme un don.
Bientôt viendront le solstice et sa longue nuit. Noël et ses réjouissances. La nouvelle année. Il faudra quelques semaines à nouveau pour que les jours ne rallongent de manière sensible. Mais en attendant, au cœur des ténèbres, quelque chose s’éveille bien avant le retour du jour. Une attention discrète. Une sensibilité aiguisée par la pénombre et le temps ralenti.
Un matin de décembre, je me réveille en souriant. Sereine. Du fond de mon lit, je regarde le soleil s’élever péniblement dans le ciel encore éteint et ne peux m’empêcher de le trouver un peu plus vif et coloré. Enfin, l’aurore.
Anne Mellier