Allemagne
Comment envisager l’avenir de nos Églises alors que le nombre de fidèles décroît d’année en année ? Plutôt que de rester sur le mode défensif, le synode de l’Église protestante du pays de Bade a décidé, il y a cinq ans, d’aller de l’avant. L’ancien Dekan de Kehl, Günter Ihle, fait partie des pasteurs nommés dans des nouveaux quartiers de ville. Il connaît les défis posés à son Église et à… la nôtre.
Dans toutes les Églises d’Allemagne, c’est la grande transformation. Il y a moins de membres, moins de ressources, moins de postes ! Jusqu’en 2030, nous devrons réduire d’un tiers nos bâtiments. Il ne semble pas qu’une telle réflexion soit aussi avancée en Alsace », relève Günter Ihle, 60 ans, pasteur de l’Église protestante du pays de Bade, bien au fait des problématiques ecclésiales de ce côté du Rhin. Après avoir été durant quinze ans Dekan de la région de Kehl, il avait accepté, il y a trois ans, une double mission. Poursuivre le travail, axé sur le transfrontalier, au côté de la pasteure Roos Van De Keere à la Chapelle de la rencontre, dans le quartier en devenir du Port du Rhin à Strasbourg. Et s’investir, de concert avec un référent catholique, à Dietenbach, le futur quartier de Fribourgen- Brisgau programmé pour accueillir jusqu’à 16 000 habitants. Günter Ihle, un homme posé mais ferme sur ses convictions, est l’un des quatre pasteurs qui occupent chacun des demi-postes créés pour dix ans, dans des nouveaux quartiers de ville. Ses trois collègues travaillent à Mannheim, Heidelberg et Karlsruhe, souvent sans locaux dédiés, parfois dans une simple caravane, privilégiant l’accueil des familles. En février dernier, le chancelier Olaf Scholz a donné à Freiburg-Dietenbach le premier coup de pioche d’un des plus grands projets urbains d’Allemagne, qui se veut à l’avant-garde écologique et sociale. « La municipalité veut ouvrir des lieux de vie où les habitants pourront se rencontrer autour d’activités non commerciales, où les plus faibles seront pris en compte. Nous avons été sollicités par les responsables de la ville. Notre Église est en discussion permanente avec eux sur l’évolution de la cité », retrace le pasteur Günter Ihle.
« Faire Église autrement »
Dès le départ, l’idée s’est imposée d’« une Maison des Églises, avec une ouverture sur les autres religions ». « La population et les politiques n’auraient pas compris que protestants et catholiques n’agissent pas ensemble. À deux Églises, nous avons plus de moyens et plus de compétences », assure Günter Ihle. Mais le diable est dans les détails et le montage juridique s’est révélé plus complexe que prévu. À charge pour les catholiques, qui possèdent le terrain, de trouver un investisseur pour construire le bâtiment dont l’Église protestante allemande louera une partie. Forcément polyvalent, le bâtiment demeurera modeste par rapport aux constructions d’il y a encore vingt ans. « Le défi est partout le même. De quels locaux avons-nous besoin, pour combien de gens et quelle sera leur destination si nous n’en avons plus besoin ? » résume-t-il, lucide. En 2017, il avait dû faire le choix douloureux, anticipant la décision du synode, de vendre la Lutherkirche de Sundheim et ses annexes. La paroisse, malgré l’implication des bénévoles, n’avait pas les finances pour rénover plusieurs églises. Aujourd’hui, la Lutherkirche est devenu le Café-restaurant Lolo, un lieu convivial axé sur les produits locaux… À Dietenbach, le premier immeuble sortira de terre seulement en 2026. « Avec le collègue catholique, nous nous sommes mis en route ensemble dès le début, relève le pasteur qui est conscient qu’une fois les décisions prises, il faut du temps pour leur réalisation… et une certaine flexibilité » si l’on s’est trompé. Sur le fond, il s’agit aussi de « trouver des nouvelles formes de faire Église autrement, d’innover, voire de surprendre », tout en « n’oubliant pas notre mission qui, en disciples du Christ, est de vivre l’Évangile par nos paroles et nos actions ». Pour autant, « dans une société qui a beau être déchristianisée, nos partenaires hors-Églises attendent de nous que nous prenions nos valeurs au sérieux », souligne le pasteur Günter Ihle. Un défi lancé aux Églises aussi de ce côté du Rhin.
Yolande Baldeweck