« Nous avions tous une affection respectueuse pour le docteur Schweitzer »

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En octobre 1956, Éliane Lehmann, native de Riquewihr, a rejoint en tant qu’infirmière l’hôpital d’Albert Schweitzer à Lambaréné au Gabon. Elle venait d’avoir 25 ans, lui en avait 81. Elle se souvient de son séjour « inoubliable » de deux ans et demi.


Comment s’est passée votre arrivée à Lambaréné ?


Enfant, j’avais souvent entendu parler du docteur Schweitzer, natif de Kaysersberg à côté de chez moi. Je m’étais dit : « Plus tard, tu iras en Afrique l’aider à soigner les malades. » Un jour, une patiente de la clinique du Diaconat m’a offert son livre À l’orée de la forêt vierge et cette idée d’enfant s’est réveillée. Il fallait prendre un tout petit avion depuis Libreville, puis une pirogue pour traverser le grand fleuve Ogooué. Tout le monde était là pour accueillir la nouvelle « mademoiselle » : le docteur Schweitzer, ses collaboratrices – des Alsaciennes, des Suissesses, des Hollandaises, des médecins de différents pays, et même des malades. Le docteur Schweitzer m’a fait venir dans sa chambre-bureau, pleine de livres. Il m’a dit : « Tes parents t’ont confiée à moi. Alors tu n’iras jamais sur le fleuve dans une petite pirogue. » Personne n’obéissait parce que les indigènes piroguiers étaient expérimentés. Alors les dimanches de congés, on allait aux villages voisins. Schweitzer était très sévère sur le port du casque. C’est la seule remontrance qu’il nous faisait. Il disait que le soleil équatorial était dangereux. Il avait construit l’hôpital lui-même : des petites cases pour les malades, comme un village, quelques maisons en dur avec nos chambres et l’hôpital, un grand bâtiment avec des pièces en enfilade.

En quoi consistait votre travail ?

Certaines tribus étaient ennemies. Alors il fallait être vigilants. Chacun venait avec sa moustiquaire pour se protéger du paludisme et avec ses casseroles pour sa cuisine. Il venait avec un proche. Une fois que l’état du malade le permettait, ces « gardiens » travaillaient pour l’hôpital en contrepartie des soins. Il y avait toujours des cases à réparer ou à construire, des caisses à déballer… Nous avions beaucoup à faire pour éduquer les mères, qui ne donnaient pas de protéines à leurs enfants. Ils contractaient le Kwashiorkor. C’était des enfants très maigres, avec un gros ventre. Il fallait les réalimenter très lentement. Le docteur Schweitzer m’a confié la responsabilité du village des lépreux, à dix minutes de l’hôpital à la lisière de la forêt. Un médecin venait une fois par semaine. On avait des bons résultats chez les jeunes qui n’avaient pas d’autres pathologies. Mais on ne disait jamais d’un malade qu’il était guéri. On disait : « le malade est blanchi », comme pour un cancer. Ils étaient tous très attachants. J'ai même appris quelques mots de fang, la langue de l'une des principales tribus.

Que faisait Albert Schweitzer à cette époque ?

Albert Schweitzer ne travaillait plus comme médecin. Mais les jeunes médecins pouvaient le solliciter pour un diagnostic. Dans la journée, il supervisait les travaux. Après le dîner, il écrivait dans sa chambre à la lumière de sa lampe à pétrole, avec son chat. Il prenait tout animal blessé avec lui, surtout des antilopes. Il mettait une couverture sur les pédales de son piano pour ne pas que l’antilope se coince dedans. Il avait besoin de peu de sommeil et pouvait écrire jusqu’à une heure du matin. Il recevait des lettres du monde entier et tenait à ce que chacune ait sa réponse, aidé en cela par sa collaboratrice Mathilde Kottmann.

Comment viviez-vous ?

On était bien heureux. Le docteur Schweitzer disait : « Vous travaillez beaucoup, il faut que vous soyez bien nourris ! » On avait toutes sortes de légumes – grâce à un potager au bord de l'Ogooué –, de magnifiques confitures, du poisson, de la queue de caïman, du kougelhopf le dimanche. Le matin de son anniversaire, chacune trouvait sa place décorée. Elle avait droit à deux œufs : un pour elle et un à donner. C’était une tradition. Le soir, on était contents de se retrouver et de lire les courriers de nos proches. Après le repas, Schweitzer lisait un passage de la Bible et répondait à nos questions. Puis il se mettait au piano et chantait un cantique allemand. Nous avions tous pour lui une affection respectueuse.

Propos recueillis par Claire Gandanger

 

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