Le Gymnase Jean Sturm affronte son passé

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Il a fallu attendre 80 ans pour que le Gymnase ouvre ses archives. Les recherches ont montré que, face à l’oppression nazie, des élèves et des professeurs se sont levés. Une résistance qui a pris de multiples formes.

Se confronter à ce passé qui ne passe pas. 80 ans après la libération de Strasbourg, la direction du Gymnase Jean-Sturm a décidé de briser le tabou du silence sur les années noires, quand Hitler avait annexé de fait l’Alsace-Moselle. En juin 1940, l’établissement rebaptisé Jakob-Sturm-Gymnasium était devenu non-confessionnel. Le salut nazi y était obligatoire. « Quel qu’ait été le visage de l’établissement pendant la guerre, il fallait le connaître », assure le directeur Philippe Buttani, en insistant sur « la rigueur scientifique » des recherches menées par Florence Malhamé, professeur d’histoire-géographie, et Christophe Piquet, professeur d’allemand. Avec deux élèves de 1ère, Joséphine Marmet et Cyriaque Gaillard de Saint-Germain, ils ont épluché et traduit les dossiers, révélant « une situation plus nuancée qu’on pouvait le craindre... » « Le Gymnase était une micro-société alsacienne, avec tous les mécanismes mis en place par une dictature et, en face, les réactions des Alsaciens. Certains se sont ralliés, d’autres ont résisté et cette résistance a pris différentes formes », relève Florence Malhamé qui, après un mémoire de master, a entrepris une thèse sur « le réseau relationnel du lycée Jakob-Sturm dans le système national-socialiste ». À sa réouverture, sa spécialisation lettres classiques avait attiré des élèves catholiques, parmi lesquels des futurs prêtres. Les 14 élèves juifs, scolarisés en 1938, ne sont pas revenus. Trois d’entre eux, Arlette et ses frères Roger et Gérard, échapperont à la Shoah, cachés dans des familles non-juives près de Limoges...
Comment résister dans un système totalitaire ? Des lycéens, garçons et filles, ont refusé d’intégrer les mouvements de jeunesse nazis, ou s’y sont résolus tardivement pour pouvoir passer l’examen final. Certains sont allés plus loin. Pour avoir manifesté le 13 juillet 1941 à Hochfelden, avec 200 autres jeunes, Joseph Huss sera envoyé au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbrück, avant l’incorporation de force dans la Wehrmacht. Revenu du front, il deviendra enseignant et capucin. D’autres, dès novembre 1941, ont distribué des tracts antinazis à Kehl. Arrêtés, Georges Weinhard et Edouard Hornecker connaîtront le même sort que Joseph. Mais l’un perdra sa vie en Prusse orientale, l’autre en Ukraine. Un de leurs camarades, Ferdinand Becker, arrivera cependant à s’évader d’Alsace pour s’engager dans les Forces françaises libres. Les autres élèves seront relâchés, faute de preuves, grâce aux interventions du directeur, Arthur Cullmann, frère du théologien Oscar Cullmann réfugié en Suisse. Il réclame les lycéens à la Gestapo, en arborant sa croix de guerre de 14-18, « la même qu’Hitler », dira-t-il aux policiers. Le professeur Cullmann n’en sera pas moins relevé de ses fonctions en 1945, tout comme l’aumônier et pasteur du Temple- Neuf voisin, Paul Berron. Malgré les lettres, de nombreuses familles témoignant en faveur de ce dernier, comme l’ont montré les panneaux présentés dans l’église par le pasteur Rudi Popp. Pour enseigner entre 1940 et 1944, les professeurs, souvent âgés, devaient être considérés comme « politiquement fiables » par les nazis.

Moments d’émotion

« Certains se sont compromis et ont paradé en uniforme. Un professeur ouvertement rallié a protégé un collègue », note Florence Malhamé, en insistant sur la complexité des situations. Avec un focus sur l’un des enseignants, Eugène Mey, professeur de lettres classiques, alias capitaine Firmin. Jugé digne de confiance par les autorités, il avait pourtant rejoint dès 1940 le Réseau Martial et a joué un rôle clé dans la Résistance en Alsace, puis dans les combats de la libération de Strasbourg...
L’exposition, enrichie par des documents des Archives d’Alsace, a été dévoilée le 21 novembre dernier. Ce jour-là, les quelque 1 200 élèves, leurs professeurs et le personnel administratif, directeur en tête, étaient habillés à la mode des années 1940. Après les conférences suivies par 430 élèves, il y eut de vrais moments d’émotion partagés. Quand Loïc Weinhard, le petit-neveu de Georges, a dévoilé sur un mur extérieur du Gymnase une plaque non nominative, en hommage aux différents actes de résistance à l’oppresseur. Surprise quand les officiels ont découvert la fresque de 80 mètres - un paysage de guerre détruit puis reconstruit - sur le trottoir jusque devant le Temple-Neuf, « là où l’on s’est battu », a rappelé la professeure d’arts plastiques Charlène Paris, en présence de l’artiste Cassandre Albert et de l’élu Salem Drici qui a soutenu le projet. Frissons quand, après la vidéo réalisée par des lycéens et projetée sur la façade intérieure, la chorale Ostinati a entamé le Chant des Partisans... « Il était important que les élèves questionnent l’évolution du monde d’aujourd’hui, dans des temps troublés où le combat pour la liberté, la dignité et contre l’antisémitisme prend son sens », observe encore Philippe Buttani, en faisant écho à « deux incidents à caractère antisémite qui avaient secoué la communauté scolaire » quelques mois plus tôt. En novembre dernier, comme cinq établissements ayant répondu à l’appel à projets Mission Libération du rectorat, les lycéens du Sturm ont pu présenter ce travail de mémoire au président Emmanuel Macron, dans l’Aula Marc Bloch de l’Université de Strasbourg. Il en appelle d’autres.

Yolande Baldeweck

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