Le projet de loi relatif à l’autorisation de modifier génétiquement des embryons (dont la possibilité de créer des chimères à l’aide d’insertion de cellules humaines dans des embryons d’animaux), bien qu’abandonné par le Sénat, n’est pas sans interroger nos préoccupations éthiques : quel Homme pour demain ? Cette question (qui est aussi la question posée par le forum de bioéthique européen de Strasbourg cette année) illustre bien combien éthique et anthropologie sont liées. Les avancés de la recherche sur le génome touchent aux questions existentielles des origines et de la finitude. Ces questions nous invitent à penser notre rapport à la mort, à l’impuissance et à la dépendance aux autres (et au tout Autre ?). Désormais la médecine de demain ne se contente plus de soigner, mais elle répare, fabrique, modifie, recompose...et c’est toute la notion du soin qui se trouve questionnée. Choisirons-nous une médecine de la fraternité ou une médecine de la performance ? Une médecine qui consent à la dépendance relationnelle et à l’impuissance assumée, ou une médecine dont l’autonomie devient l’aiguillon final, le repère absolu ?
Je pense qu’en matière de recherche, il est probable que nous n’irons pas contre la démesure humaine, même si nous plaidons pour une éthique qui se réconcilie avec le tragique. Là est peut-être l’articulation entre soin et spiritualité, entre éthique et anthropologie. Et l’ère des technosciences nous pose sans cesse la question : « qu’est-ce que l’Homme pour que tu prennes soin de lui » (Psaume 8) ? Quant à moi, je crois que la réconciliation avec le tragique est un combat de chaque jour, qui peut devenir chemin de résurrection et qui convoque et questionne notre propre spiritualité et notre rapport à Dieu. Je pense à cette parole du Christ : « qui veut sauver sa vie, la perdra. » Il ne s’agit pas de résoudre les tensions éthiques, ni d’échapper aux luttes, ni de maîtriser la mort, mais peut-être de retrouver un langage commun pour penser la mort et la finitude, et à nouveau être re-liés en humanité solidaire et fraternelle. Car notre humanité nous rappelle que nous ne sommes justement pas autonomes et suffisants, mais que nous sommes des jointures, héritiers des uns et précédents les autres...
Emmanuelle di Frenna,
pasteure-aumônier des hôpitaux privés de Metz
mars-avril 2020