
Depuis quelques temps, j'ai la chance de lire le grand roman Les reconnaissances de William Gaddis. Porté par la question du faux et de l'authenticité, s'y croisent pêle-mêle un vrai pasteur mais faux chrétien, un faussaire qui parvient à créer des oeuvres d'art indiscernables d'un original, un faux-monnayeur et, plus généralement, des personnages qui avancent masqués dans leur existence. Publié en 1955, ce récit résonne particulièrement en 2021, à l'heure des fake news et des deep fakes, où nos rapports au vrai ou au faux, au réel ou à l'irréel, sont minés par une crise générale de la confiance.
Les questions de la nature de la réalité et de la vérité animent la culture depuis longtemps et, en cela, William Gaddis n'invente rien. Mais ces questions sont également théologiques et spirituelles, et animent les chrétiens depuis des siècles. Dans les premiers siècles du christianisme, certains courant dits gnostiques professaient déjà que la réalité était fausse, mauvaise et illusoire, création d'un sous-dieu mauvais, et qu'il fallait s'en libérer par une Sagesse spéciale. Face à cela, au contraire, la foi chrétienne a toujours insisté sur la beauté du monde créé par Dieu, tout en l'envisageant avec ambivalence. Le monde est à la fois beau, harmonieux, porté et nourri par un Dieu qui prend soin de chaque créature ; et pourtant, il est aussi déchu, imparfait, privé de la gloire complète de Dieu, qui peut paraître à distance de sa Création.
Le réel est toujours ambivalent, le vrai semble toujours sujet à question. Et le coronavirus n'a fait qu'amplifier ce phénomène, où notre réalité chaotique paraît irréelle. Dans notre ambivalence, on peut se poser la question, comme Pilate : qu'est-ce que la Vérité ? (Jean 18, verset 38). La réponse, sur le coup, n'est pas donnée. Mais le lecteur attentif de l'évangile de Jean connaît déjà la réponse. Un peu plus tôt, Jésus affirmait : Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jean 14, verset 6). Le Christ a prétention à incarner la vérité. Chercher le vrai, c'est chercher le Christ. Cela signifie que la Vérité ne se possède pas comme un concept ou une idéologie : elle se construit dans un lien relationnel. Pour les chrétiens, portés par leur confiance et leur relation au Christ, il paraît d'autant plus important d'avancer en chercheur de Vérité, et d'apprendre à démasquer (malgré nos masques) les voiles du mensonge qui nous entoure.
Jean-Philippe Lepelletier,
pasteur à Sainte-Marie-aux-Mines
mai-juin 2021