Chanter en Église aujourd’hui – héritages et perspectives
Le sujet fait débat et cristallise les passions. Le répertoire multiséculaire des cantiques relève du patrimoine mémoriel pour les uns, de la collection de vieilleries pour les autres. Certains sont subjugués par les chants nouveaux, d’autres en sont hérissés… Les protestants se montrent attachés à une compilation de chants de différentes époques (un peu comme les gens qui empilent de vieux journaux…), l’on tient à garder les bons vieux chants, sans vouloir en jeter aucun… Mais en même temps, l’on aspire à découvrir de nouvelles créations hymnologiques. Ce qui peut apparaître comme un paradoxe est en fait tout à fait analogue au rapport complexe qu’entretiennent les protestants avec leurs racines : la Bible, la/les Réforme(s), la spiritualité de ses ancêtres, sont souvent considérées comme des valeurs-refuge incontournables. En face, il y a le désir d’inventer de nouvelles expressions de foi et d’explorer des formes de spiritualité contemporaines. Force est de constater que l’hymnologie, l’étude des cantiques, est souvent à la traîne : les évangéliques ont tendance à se répéter quand les luthéro-réformés ont du mal à trouver des bons textes à mettre sur de bonnes musiques…
L’hymnologie avait autrefois une vocation à consolider l’identité, la ferveur et l’expansion des Églises. C’était du temps où les Églises chrétiennes faisaient autorité sur le plan sociétal. En ayant perdu leur hégémonie, les Églises actuelles s’inscrivent plutôt dans une dynamique de témoignage. Ainsi l’hymnologie contemporaine va plutôt s’intéresser à la foi vécue, au doute existentiel et aussi à des questions sociétales.
Des cantiques nouveaux
Mais aujourd’hui comme hier, le chant en Église vise à unir et à cimenter la communauté. Or l’individualisme, qui est un marqueur de notre monde moderne, s’accommode mal du nous collectif. Depuis l’Antiquité, la définition de la communauté chrétienne oscille entre idéalisme et réalisme, les épîtres pauliniennes en témoignent amplement. Dans ses cantiques, la Réforme luthérienne avait mis en exergue le nous communautaire, vite devenu impersonnel et lointain. Le Piétisme avait contribué à rééquilibrer le nous et le je en valorisant l’expression personnelle de la foi. Au XIXe siècle, le mouvement du Réveil avait parfois confondu ferveur spirituelle et nationalisme. De nos jours, l’enjeu serait plutôt de sensibiliser les individualités, très atomisées, à s’intégrer dans une communauté humaine et spirituelle plus large, dans un contexte interreligieux tendu et une pression laïciste particulièrement ressentie en France.
Sauf à donner des réponses simplistes et infantilisantes (c’est le choix opéré par certaines Églises tentées par le fondamentalisme ou par le moralisme), les cantiques actuels devraient donc aborder des thématiques nouvelles comme la crise climatique, la gestion des ressources et la préservation de la biodiversité. Sur le plan éthique et par souci de cohérence, si nos Églises ont adopté le principe de la bénédiction de l’union de personnes de même sexe, des nouveaux cantiques devraient l’intégrer.
« Chanter, c’est prier deux fois » : cette expression prêtée d’abord à Saint Augustin puis à Luther met bien en évidence la dimension horizontale du chant d’assemblée (fondre les voix dans une nouvelle unité) et sa dimension verticale (répondre à la grâce de Dieu par le chant qui s’élève). Mais l’expression, appliquée à cet immense corpus de cantiques créés, pratiqués et collectés pendant des siècles, affirme aussi que lorsque nous chantons, nous prions avec tous ceux qui nous ont précédés. Alors, chantons !
Daniel Leininger
Responsable du service musique de l’Uepal