À l’heure où nos cultes se raréfient, à quoi tient cet attachement tenace aux pierres de nos églises et de nos temples ? Que persiste-t-il de nos lieux de culte qui en font encore aujourd’hui d’irréductibles ancrages ? Sont-ils encore les lieux d’expression de la Parole vivante ? Ou la preuve tangible de nos histoires communautaires et personnelles ?
Dès le départ, les réformateurs refusaient l’idée d’un Dieu présent dans un édifice ou dans un lieu de culte. Ainsi dans le protestantisme, Dieu n’est pas censé résider dans un temple ou une église. Dans l’Institution de la religion chrétienne, Jean Calvin est clair à ce sujet : « Il nous faut garder de les estimer [les temples] propres habitacles particuliers de Dieu (comme on a fait par longues années) et dont nostre Seigneur nous preste l’aureille de plus près ; ou que nous leur attribuyons quelque sancteté secrète, laquelle rende nostre oraison meilleure devant Dieu. Car si nous sommes les vrays temples de Dieu, il faut que nous le priions en nous, si nous le voulons invoquer en son vray temple. » (Institutions IIII, 20, 30). Autrement dit, ce sont les fidèles qui sont eux-mêmes « le temple de Dieu » (1 Corinthiens 3, verset 16) et n’importe quel lieu même improvisé, qu’il s’agisse du salon de sa maison, d’une salle des fêtes, d’un hangar ou d’une clairière, peut être temple ou église. Dans la mesure où les croyants sont rassemblés pour écouter la Parole et rendre gloire à Dieu, un culte est célébré. Le décor n’y change rien. Cependant, le souhait d’être repérées par tous et présentes dans la cité a conduit les communautés à construire ou à réaménager des temples et des églises. Forts de ses trois solae - l’Écriture seule (sola scriptura), la foi seule (sola fide), la grâce seule (sola gratia), les protestants ont réduits à son expression la plus simple l’architecture de leurs édifices religieux. Une église ou un temple ne sont que les symboles de la communauté rassemblée autour de la Parole prêchée et la formule « die Liturgie ist die Bauherrin der Kirche » - la liturgie est la maîtresse d’ouvrage de l’église, prend ici tout son sens. D’ailleurs, parce qu’un temple réformé ou une église luthérienne ne servent qu’au culte et non à la prière individuelle, leurs portes restent généralement fermées en dehors des célébrations.
Lieux de vie
Nous comprenons que, dans le protestantisme, l’espace sacré n’existe pas. Il n’en demeure pas moins que les édifices cultuels sont importants. Ils sont des lieux de vie pour la communauté, vie paroissiale, spirituelle et familiale. Ils racontent des histoires parce qu’ils sont héritage et témoignage de la foi de paroissiens et paroissiennes, que ce soit depuis quelques centaines ou quelques dizaines d’années. Quelle famille ne se souvient pas d’avoir vécu des moments solennels dans telle église ou tel temple ? Baptêmes, confirmations, bénédictions nuptiales, funérailles sont autant d’événements qui rattachent les fidèles à un bâtiment, au temple ou à l’église de son quartier, de son village. Même si une église ou un temple ne sont pas érigés à la gloire de Dieu comme pourrait l’être une cathédrale, ils ont de la valeur, une valeur bien plus grande que celle des pierres. C’est là sans doute qu’il faut chercher l’attachement des fidèles à leur temple ou à leur église. Même si elle est transformée en logement ou en école de danse, même si elle est laissée à l’abandon, n’accueille plus personne et que plus aucun moment n’y est partagé, une église gardera l’écho des cultes célébrés et vécus entre ses murs. Finalement, s’ils ne sont que des bâtiments de pierres, de verre et de bois, que le culte peut être célébré partout, qu’aucun espace n’est sacré, à quoi servent les églises et les temples ? Et pourquoi le sujet est-il si sensible lorsqu’il est question de vendre le bâtiment, d’y remplacer les bancs par des chaises ou encore de le céder à d’autres communautés de croyants, même non-chrétiens ? Peut-être parce qu’il suffit d’entrer dans un édifice religieux quel qu’il soit pour y ressentir de manière irrationnelle les vibrations laissées par les textes lus, les cantiques entonnés, les prières prononcées… La ferveur d’une communauté, en somme.
Gwenaelle Brixius