Maison cocon

Il y a deux ans, Sylvie Pérenne a installé sa Tiny house sur les hauteurs de la vallée de Munster. Plus qu’un simple chez soi, ce petit habitat constitue un mode de vie à part entière.

Qu’est-ce qui vous a poussée à faire le choix d’une Tiny House ?

Rien. [Rire] Quand l’aventure a commencé, je ne savais même pas que les Tiny House existaient. À l’origine, j’avais une vie tout ce qu’il y a de plus normale. Je vivais dans une grande maison avec quelqu’un mais lorsque j’ai dû déménager, après une séparation, nous étions en plein hiver et il n’y avait rien de disponible dans le secteur. Je ne cherchais pas quelque chose qui sorte des sentiers battus : je voulais juste habiter quelque part. Devant l’urgence, j’ai finalement acheté le camion aménagé d’amis qui venaient de rentrer d’un tour du monde. Une sorte de gros 4x4. Je me suis dit qu’il ferait la jonction jusqu’au printemps, où il serait sans doute plus simple de trouver un appartement. Et qu’ensuite, je le garderai pour les vacances. Mais… j’ai adoré cette vie de nomade la nuit, le fait de vivre dans les montagnes le soir, de changer d’emplacement tous les soirs ; tout en vivant en société le jour. Une sorte de double vie. Lorsque j’ai dû revendre mon camion rapidement parce que les normes sur les véhicules aménagés avaient changé, je ne voulais plus rentrer.

À ce moment-là, j’ai réfléchi et j’ai opté pour un hamac : on était début avril et l’hiver était à peu près terminé. J’ai liquidé mon camion, mes dernières affaires, et je suis partie dormir dehors. J’y ai passé huit mois, mais c’était assez confortable car j’ai une cuisine et une douche au sein de mon cabinet d’ostéopathie. Lorsque l’automne est arrivé, je me suis retrouvée face à un choix : acheter du gros matériel pour passer l’hiver en extérieur, tout en sachant que ce serait sans doute plus difficile, avec la nuit tôt, le froid, la pluie… Ou opter pour une autre solution. Il se trouve que je suis finalement tombée sur un petit livre dans une librairie où je passais tout mon temps libre. Il y avait une photo de Tiny House sur la couverture. Deux heures plus tard, je l’avais lu, je le connaissais par cœur et il m’en fallait une.

Comment s’est passée la conception de votre Tiny House ?

D’abord, ça a été dans ma tête. Tous les jours je dessinais une nouvelle Tiny. J’avais du mal à caser tout ce à quoi je tenais dans un si petit espace. Normal : c’est impossible. Il faut faire un tri qui est assez long. J’ai dû faire le deuil de l’idée d’avoir un four ou un hamac. J’aurais pu avoir les deux mais alors il n’y aurait eu rien d’autre. Ce travail, je l’ai fait de mon côté pendant un moment. Puis j’ai voulu rendre les choses plus concrètes alors je suis allée voir un ami dont j’aime beaucoup le travail du bois. Je lui ai demandé si ça le tenterait de partir sur ce projet et le challenge lui plaisait. Il a commencé à dessiner l’ensemble de la Tiny pour que l’on puisse budgéter les choses. Je voulais que ce soit lui parce qu’il a un niveau de finition incroyable. Je veux bien vivre dans petit, mais je veux que ce soit beau. Et je me suis donné les moyens d’avoir la plus belle maison que je pouvais imaginer.

Comment avez-vous fait vos choix en matière d’alimentation énergétique ?

Ils ont été déterminés par un certain nombre d’obligations. Pour avoir le droit de m’installer sur le terrain que j’ai choisi de manière durable par exemple, il fallait que je sois reliée au réseau d’eau et aux eaux usées du village, pour que mon installation ne soit pas considérée comme insalubre. Concernant la question du chauffage, j’ai fait le choix d’un petit système au gaz, un appareil de bateau. Donc je trimballe mes bouteilles de gaz pour ce qui est du chauffage et de la cuisine. Mais cela a ses avantages : quand je n’ai pas d’électricité, je peux quand même cuisiner et chauffer ma maison. Pour ce qui est de l’alimentation électrique, j’ai voulu, dans un premier temps, fonctionner avec des panneaux solaires pour voir quelle est ma consommation. Autrement, j’appuie sur un bouton, je me contente de payer mon abonnement et je ne me rends pas du tout compte de ce que j’utilise. Je m’étais dit que le jour où j’en aurais marre je me raccorderais au réseau : concrètement, ça fait deux ans et demi que je fonctionne de cette manière et je n’en vois toujours pas l’utilité. Mes panneaux rechargent suffisamment pour couvrir mes besoins en dehors des périodes de neige. Ces jours-là, j’au beau les dégager le matin en partant, ils sont déjà blancs un quart d’heure plus tard et aucune lumière ne passe. Cependant, cela ne représente qu’une petite dizaine de jours sans électricité les années à neige.

Est-ce que ce choix de vivre dans une Tiny house participe pour vous d’une démarche écologique ?

Au départ, je ne me serais pas vraiment qualifiée d’écolo. Tout simplement parce que j’étais prise dans les mêmes dilemmes que ceux que connaissent beaucoup de gens. Des choses qui me font plaisir d’un côté, une certaine culpabilité de l’autre. Je faisais un geste pour en compenser un autre : c’était très peu confortable. Quand j’ai été disons… un peu précipitée dans un autre mode de vie, avec le camion puis le hamac, j’ai découvert que ce que je voulais pour moi, ce qui me faisait plaisir, allait vers la simplicité, une certaine sobriété. Ça collait à une façon de vivre plus écologique, et soudain, je n’étais plus dans cette espèce de contradiction permanente, de dissonance cognitive.

Vous évoquiez les choix que vous avez dû faire pour emménager dans une Tiny, est-ce que cela vous a demandé beaucoup d’adaptation ? Une organisation quotidienne différente ?

Il faut se rendre compte qu’une Tiny, ce n’est pas une petite maison. Ca a le confort d’une petite maison mais on ne peut pas vivre dedans de la même manière que l’on vivrait dans une maison. C’est tout un style de vie à part entière qu’il a fallu que je découvre. Et c’est ce qui m’a poussée à écrire un livre qui parle de toute ma première année passée en Tiny, parce que c’est assez insolite et qu’il y a des choses auxquelles on ne s’attend pas. Un exemple : mes murs font 12 cm d’épaisseur. Donc je suis au contact direct de l’extérieur. Même lorsque toutes mes fenêtres sont fermées, j’entends quelqu’un qui parle à côté, j’entends les oiseaux chanter, les grillons. Lorsqu’il y a une tempête, ça cogne directement derrière mon oreiller. Quand il y a de la pluie, c’est sur ma vitre à un mètre de ma tête de lit. Je suis vraiment plongée dans les saisons et dans les éléments. Ça a des aspects très positifs, car j’aime beaucoup ces bruits-là. Mais j’entends aussi les motards qui remontent les virages dans la vallée le dimanche, dès 7h du matin. Dans les aspects un peu plus négatifs, il y a aussi le fait que mon eau chaude fonctionne au gaz, mais avec un démarrage électrique du chauffe-eau. Donc sans électricité, pas d’eau chaude. Et quand la bouteille de gaz est vide, pas d’eau chaude non plus. Évidemment, comme de par hasard, ça arrive toujours quand on est sous la douche avec du shampoing sur la tête, la première nuit de gros gel de l’hiver. Dans ces moments-là, je peste. Et en même temps, ça me fait sortir à un moment où je ne l’aurais jamais fait, et prendre la température d’une nuit que je n’aurais jamais vue autrement. Il y a comme ça un certain nombre de contraintes qui n’en sont pas si on les a choisies. On bénéficie alors de leurs avantages. Mais sans cela, je pense que c’est une vraie galère.

On aurait facilement en tête l’idée que la vie dans une Tiny house soit celle d’un ermite. Est-ce que cela a modifié votre relation aux autres ?

Effectivement, j’avais peur de m’éloigner des autres, de me marginaliser en créant quelque chose d’aussi atypique. C’était quelque chose que je voulais éviter à tout prix. Finalement, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit. J’ai besoin des autres en général. Notamment pour du bricolage ou des questions d’entretien. Et les gens sont extrêmement curieux de ce qui se passe dans la Tiny, au point que ça en devient parfois gênant quand des inconnus m’arrêtent sur le trottoir pour me demander s’ils peuvent venir chez moi. Je comprends en partie cette curiosité mais je ne peux pas faire entrer tout le monde dans ma maison. D’autant qu’à partir du tapis d’entrée, on a la tête sur l’oreiller et le nez dans ma salle de bain : je n’ai aucun endroit de stockage, aucune zone de fermée, donc c’est mon intimité toute entière qui est accessible dès la porte. Ce n’est pas un musée. C’est pour ça que je choisis de l’ouvrir aux journalistes, pour répondre à cette curiosité via un medium.

Quel lien avez-vous avec votre foyer aujourd’hui ?

J’ai un rapport très particulier à cette maison qui n’est pas sans me rappeler le lien que certaines personnes peuvent avoir avec un objet indépendamment de sa valeur marchande, dans la culture japonaise. Cette maison, c’est un peu une amie. Quelqu’un d’intime. J’ai encore du mal à y accueillir quelqu’un, même un proche, ailleurs que pour boire un thé sur ma terrasse. C’est vraiment ma tanière. Et c’est aussi un endroit que je vais défendre : mes voisins peuvent témoigner que je ne suis pas toujours aimable lorsque je vois quelqu’un sur mon terrain. Je n’ai jamais eu ce rapport-là à ma maison, alors je me suis interrogée sur les origines de cette relation. Je pense que c’est lié au fait que chaque centimètre carré de cette maison a été conçu pour moi, pour mes besoins, jusque dans la moindre de ses courbes. S’ajoute à cela qu’elle est toute petite : j’en fais le tour en un coup d’œil. Il n'y a rien de vraiment caché, ce qui offre une forme de conscience de la chose en un seul bloc. C’est très agréable. Et cela ne me pèse pas comme pourrait le faire une grosse maison. Elle colle à mes besoins comme une personne pourrait le faire. Quand il y a une tempête dehors, j’ai l’impression qu’elle me prend dans ses bras. Le fait que je puisse dormir à l’air libre tout en étant dans mon lit, grâce au toit ouvrant, cela relève un peu du miracle pour moi. La Tiny permet une sorte de dedans-dehors qui me convient parfaitement et qui n’est pas celui d’une maison. C’est l’ensemble de ces fonctionnalités mises bout à bout qui me donnent l’impression que c’est bien plus qu’un objet.

Est-ce que le fait de vivre dans une Tiny house a changé votre rapport à la consommation ?

Toute l’aventure consistant à trouver un habitat qui me convienne m’a globalement beaucoup appris sur mon rapport aux objets. Je croyais en être assez détachée. Mais lorsqu’il a fallu que je passe d’une maison de 200 m² à mon camion qui en faisait six ou huit, me défaire d’objets auxquels je pensais ne pas tenir a été beaucoup plus compliqué que prévu. C’était un arrachement à chaque fois. J’ai pu mesurer à quel point j’y étais attachée finalement. Et prendre conscience de cela ma donné envie de mieux choisir ceux qui m’entourent. J’ai diminué mes achats compulsifs. Côté vêtements, je me suis permise d’acheter des choses plus chère mais de meilleure qualité et qui me plaisent davantage, avec l’excuse que, oui, ce sont des marques qui respectent un peu mieux la planète. Je le vois moins comme une manière de me restreindre que d’aller vers un plus grand plaisir.

Propos recueillis par Anne Mellier

Sylvie Pérenne, Mes Nuits sauvages, aux éditions Jouvance, 2021.