Fritz Lienhard, professeur de théologie pratique à l’Université de Heidelberg, ose dans son dernier ouvrage faire face à la décroissance des Églises protestantes en Europe et dessiner des pistes pour qu’elles repensent leur mission. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a amené à aborder un tel sujet que certains voient de manière défaitiste ?
Je voudrais tout d’abord dire que je ne possède pas de boule de cristal et que mon livre ne se veut en aucune façon prophétique sur l’avenir des Églises protestantes – luthériennes et réformées, plus particulièrement – en Europe. De même, ce n’est pas un livre de recettes toutes prêtes pour préparer l’avenir. Il est avant tout lié à une préoccupation que nous sommes beaucoup à partager en voyant l’érosion des Églises en Europe occidentale. Dans le Bade, où j’enseigne, il est annoncé que l’Église va devoir faire face à une diminution de 30 % de ses ressources financières dans les dix années à venir ! Cela suscite évidemment de l’inquiétude, en particulier auprès des étudiants en théologie : se préparent-ils à devenir des pasteurs qui n’auront le temps que de célébrer des services funèbres ? C’est en pensant à tous les visages que j’ai croisés au cours des 30 dernières années que j’ai souhaité mettre par écrit quelques clefs de compréhension.
Comment abordez-vous cette question de l’érosion numérique des Églises ?
J’aborde la question suivant trois axes, complémentaires et liés : une approche sociologique, une réflexion théologique sur l’articulation du Christ et de l’Esprit-Saint, et une partie sur la compréhension de l’Église et de sa mission. La sociologie évoque depuis près d’un siècle maintenant la sécularisation de la société. La décroissance des Églises en Europe en serait le fruit. D’une part, la modernité éloignerait des pratiques religieuses. D’autre part, l’individualisation pousserait à une défiance à l’égard de toutes les institutions. Mais ces deux explications ont leurs propres limites. Concernant la modernité et ses effets sur les pratiques religieuses, cela est une vision très européo-centrée. Quant à l’individualisation, on voit bien qu’une baisse des pratiques religieuses ne correspond pas à une diminution de l’intérêt pour les questions spirituelles chez nos contemporains ; simplement, ce n’est pas auprès des Églises qu’ils vont chercher leurs réponses.
Est-ce que ces phénomènes sont réversibles ?
Pas nécessairement, mais ils sont une réalité contrastée avec laquelle nos Églises doivent aujourd’hui travailler pour annoncer l’Évangile. En tout cas, contre une décroissance programmée, je trouve que l’avenir est ouvert.
Quelles sont ces clefs pour l’avenir, alors ?
Dans mon livre, je m’arrête un long moment sur la question théologique du lien entre le Christ et l’Esprit-Saint, car il me semble qu’on a récemment plutôt laissé tomber l’un des deux dans les Églises protestantes européennes. Fils et Esprit sont réciproquement dans une logique équivalente à celle d’une Parole extérieure et d’une expérience intérieure. C’est ce qu’écrivaient les réformateurs en disant que l’Évangile de Dieu retentit par l’articulation entre le texte des Écritures et l’inspiration du souffle de l’Esprit. Il faut que nos Églises réapprennent à articuler les deux, ensemble – mais il faut bien dire que les luthéro-réformés voient avec une certaine méfiance la question de l’inspiration individuelle par l’Esprit. Il faut donc redonner de la place à l’expérience personnelle dans nos communautés et oser plus l’expérimentation. L’Évangile se transmet d’abord de personne à personne et les yeux dans les yeux. Cela devrait laisser plus d’espace à la créativité artistique et à la diversité dans nos Églises, pour que chacun trouve sa place et y exprime son expérience de la foi.
Propos recueillis par Gérald Machabert
Pour le journal Réveil
(presse régionale protestante)
L’avenir des Églises protestantes. Évolutions religieuses et communication de l’Évangile, éditions Labor et Fides, 2022, 420 p., 29 €.